Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

jeudi 22 novembre 2012

Le chant du départ, royaume St Martin, au beau séjour


Photo Serge Prioul


Il va falloir laisser la place.
Cette fois c'est sérieux.
C'est la fin de la résidence.

Les bateaux sont faits pour le départ comme le vent, comme la mer.
Nous étions trois dans un bateau.
J'avais aimé le livre de Jerome K. Jerome, Trois hommes dans un bateau. Un livre lu à l'adolescence, un livre où le rire et la dérision faisaient bon ménage. On pouvait rire aussi dans les livres.
La poésie hier soir se tenait en équilibre entre les mots, entre les rives.
Nous trois, hier soir sur la péniche, L'arbre d'eau.

Il y avait Denis Hirson et avec lui, l'Afrique du Sud.
Il y avait Jacques Brémond et le visage d'un mort, ouvert sur le silence.
Et tous les heimatlos assis en rond autour de nous, invisibles et attentifs.

Et des visages qui écoutaient.

Et mon royaume, je ne l'ai pas assez exploré, voilà ce que je me dis ce matin, tout à sa lumière, vu de la fenêtre. Le chat dans le pré, les poissons du canal, les oiseaux au jardin, tout est maintenant à laisser derrière soi. Laisser  place.

poisson du royaume St Martin




Sortir ses grands pieds de la terre du jardin. Regarder encore les décombres. Se dire que lorsqu'on reviendra tout aura changé, tout sera semblable. Parce que je reviendrai. L'ai écrit. Dit. Comme pour conjurer dieu sait quelle mauvaise étoile, toujours à guetter son tour derrière nous. Et puis il y a les mots, les broderies, les heimatlos nés ici et qu'il va falloir ramener, que dis-je, emmener dans le sud, eux qui sont des sans patrie bretons, les faire entrer dans la maison appelée le Moulin Brûlé, là-bas où le soleil parfois calcine l'herbe à la faire jaunir, loin de toute pudeur rose, et leur donner langue, paternelle, maternelle, bretonne, française, toutes langues étrangères pour eux qui sont à la recherche d'une patrie portative. Une péniche, voilà une bonne manière de représenter la patrie, ai-je pensé hier soir, et puis elles sont deux, amarrées mais en partance, remplies de l'air du large, oui, une bonne façon d'en finir avec la patrie des hommes politiques, me suis-je encore dit en empruntant la passerelle.

J'avais rêvé roulotte et nomadisme, j'ai retrouvé en Bretagne mon père caché dans un arbre, la mer dans l'eau d'un canal, les bateaux (de mer et de rivière) et obtenu quelques réponses à mes questions. Ma famille légère s'est encore agrandie et le menhir Jean-Claude en fait désormais partie, et je ne dirais pas les noms de tous les inconnus amis devenus et dont je ne saurais plus oublier le nom. 

Ainsi le heimatlos s'en ira, coeur léger, la besace pleine de vent et de cris d'oiseaux, de mots et de chants, le long des canaux et des plages.
Il ira sur la route blanche de Soutine, de son pas tranquille et s'attardera, nez en l'air, risquant souvent la chute comme les aveugles du tableau, mais toujours une main sur son épaule se posera pour lui dire: allez, on fait la route ensemble...Jusqu'à la mer. Celle d'Iroise mais aussi celle qui va d'Alger la douleur à Marseille l'amère, en passant par Tunis l'incertaine. 

Poursuivons.

Avec, parfois, un oiseau sur l'épaule.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire