Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

lundi 12 novembre 2012

En breton de mer, tout sera plus facile!


On se retrouve là, devant des êtres jeunes, lycéens, on ne sait par quoi commencer, que dire.
Comment se présenter. Dire je suis.
Mais un mot vous court dans la tête.
Il va bien falloir l'extraire.
Il va bien falloir dire ce qui pousse des gens comme moi sur les routes.
Des gens comme vous et moi.
C'est à Dinan.
Qu'allez-vous mettre de la Bretagne dans ce que vous écrivez en résidence?
C'est un garçon qui pose cette question.
église d'Iffs

Un autre (dont j'apprends qu'il est franco-finlandais) me demande en quoi consiste mon goût pour le Nord et comment il est compatible avec mon origine.
Voilà, nous y sommes.
Nord/Sud. Origines. On a beau faire, ce sont des mots qui vous claquent au visage.
Pas faciles à ostraciser.
Le heimatlos se glisse dans la salle aussi discrètement que possible.
Il restera au fond, debout, légèrement appuyé au mur revêtu de moquette sombre et se tiendra ainsi tout le long de l'entretien et des lectures.
Nous sommes dans une salle insonorisée, entre le théâtre et l'auditorium.

Alors il est temps de lâcher le mot: patrie. De jouer le jeu, celui pour lequel je suis ici, pour lequel je me bats, entre Bretagne et Marseille.
forêt vers Combourg

Voilà, je m'interroge sur ce que c'est qu'habiter un lieu, en faire sa patrie, sa langue, ses rêves.

C'est un mot, un seul, qui me conduit ici.
Je le leur dis ou tente de le leur dire. Ils me regardent, assis et je leur fais face, debout.
C'est une histoire que nous tentons de faire tenir ensemble, leurs mots et le mien.

En leur parlant, je vois leur jeunesse.
Je l'entends un peu, ceux qui osent parler, poser quelques questions, assez fines, assez précises aussi.

Je leur parle de la langue de ma mère.
Je leur raconte comment j'ai découvert qu'elle ne parlait pas bien français.
Que nous ne parlions pas la bonne langue.
Certains sourient, d'autres ont l'air de comprendre.
Découvrir que sa mère ne parle pas correctement la langue française n'est pas une chose simple.
On s'aperçoit que la langue est pleine de traîtrise.
Qu'il y a des puissants en langue et d'autres, qu'elle domine, la langue.
Les gens comme ceux de ma famille, les gens qui parlaient patois ou pire marseillais et qu'il fallait instruire en français.

Et un jour il arrive qu'on soit en position de corriger la langue de sa mère, la maternelle langue incorrecte et parlée ensemble depuis l'enfance.

L'école m'a appris à douter de la langue de ma mère. De la mienne ensuite. Douter de ce qui nous fait humain, la langue, donné par la mère, c'est une situation difficile pour un enfant.
L'école, où j'ai souvent été heureuse d'apprendre mais qui ne m'a pas appris à lire ni à écrire, a sans doute contribué à perturber l'admiration que je portais à mes parents.
A semer les cailloux du doute comme autant de mots piégés.
Mais surtout à me défier de ma compétence en langue française.
Je ne sais toujours pas dire certaines choses. C'est pourquoi je tente dans chacun des textes que j'écris
de les traduire dans une langue à la fois maternelle et portative.
Une autre langue qui permettrait les erreurs et inventerait d'autres tournures.
Il y a là une douleur que les jeunes peuvent comprendre: ne plus parler une langue interdite conduit certains à la folie ou à l'écriture.
Bécherel

Comme pour me réconforter sur ce chemin de la patrie portative, une amie m'écrit un court poème en breton de mer. Je ne connaissais pas cette langue, lui ai-je écrit, mais je l'adopte comme deuxième langue, langue de secours pour les enfants qui ne savent plus parler, ni voler de leurs propres mots.
Une langue que ne renierait pas mon copain Smouroute, le chat polonais-breton de Nathalie Guen.
Pleugueuneuc

Et puis qu'est-ce que c'est, être en résidence, si ce n'est le besoin du sans-patrie de repartir toujours, être sur les routes, on ne sait jamais où il est, à la recherche de l'inconfort du déplacé, en fuite et avide de retour, comment expliquer ça à des jeunes qui sont au début du chemin et qui espèrent avoir une maison à habiter, dire que la maison est une demeure fragile (Novarina) et qui se dérobe, devant soi, comme la langue maternelle et que c'est elle qui m'a conduit devant eux, à Dinan, au collège des Cordeliers?

Impossible à dire.
Bizarrement, encore une fois, je me suis égarée à l'entrée de Rennes, tournant et retournant de rond point en rond point pour parvenir enfin à la maison.
Beauséjour?
Ta maison?
Heimatlos, n'oublie pas que tu t'en vas bientôt.
Quinzième sur la liste des résidents.
Et les autres étaient tous des heimatlos, ne crois-tu pas?
Cette question, aucun des jeunes de Dinan ne l'a posée.
C'est pourtant une bonne question.
Une question pour les sans-patrie.

2 commentaires:

  1. Combien, je suis très heureux d'avoir renoué avec le Gallo, la langue de Haute-Bretagne ! Mais quelle ambiguïté dans cette reconnaissance officielle d'une langue qui n'en est pourtant plus qu'aux derniers soupirs !

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  2. Ce breton de mer, drôle de langue! et je comprends...ce que tu retrouves (un peu) dans le gallo.

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