Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

vendredi 30 novembre 2012

Soutine/Bleu/ écrit à Beauséjour



  

ciel de traîne, bleu prison
SOUTINE




Le vent est bleu, découvrait le peintre et il le savait depuis 1919.

A Cagnes, je l’avais enterré sous le rouge bordant les marches d’escaliers et les yeux des enfants, à Céret dans le toit des maisons, ensuite au Blanc en ouvrant à deux mains le ventre des bêtes, habillant plus tard de rouge les idiots et les morts, ne me lassant jamais de signer mon nom en rouge.


Et voilà que le bleu revenait, ce froid qu’il avait redouté et fui en compagnie de Kikoine, voilà qu’il s’étalait du ciel à la terre, de l’herbe aux nuages.
La couleur des prisons est le  bleu.
De la mer, du ciel et de la chair morte.


Seule la flèche du chemin où se mêlait un peu de rose échappait au bleu. Comme la robe retroussée de Hendrickje, la servante de Rembrandt. Le tableau avait été peint en 1654. Cette robe blanche, la première fois qu’il l’avait observée, il l’avait comprise pour ce qu’elle était, une manière pour le vieux peintre de se sauver. Mais le chemin qu’il avait peint, lui, Soutine, en 1939, se souvenant de la belle matière, ne permettrait pas aux enfants d’échapper à ce qui les poursuivait depuis la Lituanie.


Ce n’était pas un torrent, ni la chaleur, ni le ciel de Céret.
Ni même la neige de Lituanie.
Là-bas en ce temps tout était rouge.
Mais bien autre chose de noir et de bleu.
Les souvenirs longtemps avaient pris la couleur des rochers et des viandes.
Tout ça saignait dans sa mémoire mais ça n’avait rien de triste.
Et puis tout avait basculé.


Peut-être était-ce venu avec la musique. L’Allemande. Une musique bleue, naturellement. Presque noire comme une forêt. Il ne s’était pas méfié. On ne se méfie pas de la beauté. C’était lui qui avait voulu s’en emparer comme de tout ce qui le précipitait dans la sauvage acceptation du monde. Mais là point de folie. Une douceur mortelle.
Car la musique de Bach était la plus belle du monde, au point qu’il avait cru le compositeur encore vivant. Avait demandé à le rencontrer. On lui avait ri au nez. Mais lui : je suis Chaim Soutine, le peintre. Il avait acheté tous les disques[1].


Et là, au fond de lui, au milieu de son corps, ce trou.
Hurlant. Trou du ventre. Rouge. Mais non, bleu, avait murmuré la petite voix. Personne ne comprend ce que tu veux dire quand tu dis : cette douleur est bleue. Et pourtant c’est vrai. Mais les médecins ne savent pas ce que je veux dire en utilisant de la couleur pour décrire une souffrance. Ils ne savent rien du tout! Sont bêtes brutes ignorantes !
Pour eux l’intérieur d’un homme est rose, à la rigueur rouge, mais bleu…
Non seulement ils me croient fou, mais disent que je suis un malade imaginaire !


Heureusement le blanc apaise un peu le cri, panse un peu la plaie.
Il faut juste que nous trouvions lait et bonbons.
Du lait pour la douleur.
Des bonbons pour les enfants.
C’est vrai que parfois cette pauvre femme m’offre des glaïeuls. Pour me redonner du rouge et rendre un peu de couleur à mes vieilles toiles.
Parfois aussi le feu.
Pendant longtemps arbres et maisons. Quelques vivants presque morts. Des enfants idiots et fanfarons.
Et enfin ceux-là, sortis en courant de l’école et moi, avec mes pinceaux et mes couleurs, bleu, vert, blanc, tentant de les rattraper.
Les bonbons pour les appâter.
Et les capturer vifs pour calmer l’irritante douleur.


Mais le bleu recouvrait la toile. Même le noir de leurs sarraus virait au bleu.
Le vert lui-même, j’en venais à le voir bleuir et s’envenimer, comme l’herbe, comme les feuilles au bout des branches.



Le tableau de 1939 a été peint au futur.
Tout parle la langue de la fuite et du départ.
Il faut se dépêcher de rentrer.
Il faut se hâter de partir.
Retour de l'école, après l'orage. Deux enfants se tiennent par la main en sarrau noir, l'un  semble avoir les jambes nues. Le ciel est traversé de traînées nuageuses et le vent agite les arbres courts et l'herbe des prés que le chemin traverse. Ciel de traîne.
Le bleu domine. Avec le vert et le blanc.
Pas de signature visible. Je n’emploie plus le rouge.
Les enfants avancent sur un chemin blanc qui ressemble aux nuages et à la robe de la femme sur le tableau imité de Rembrandt.
C'est un beau morceau de peinture.
Qui fuit sur le chemin?
Où est la maison des enfants? Ils ont quitté l'école et l'orage et courent vers ce que vous ne pouvez pas voir. Hors du tableau.


Je repars en Lituanie. Les allemands sont à Paris.
Dit Soutine en montant dans l’ambulance.


L’hôpital sera blanc.
Les draps, le carrelage.
C’est ainsi qu’on soigne le sang en France.
Avec du blanc comme le lait dont j’ai arrosé mon ulcère.
Mais le lait comme le blanc des yeux devient bleu.
A cause de la lumière du scyalitique[2].


Mon ventre ouvert est bleu.
Des gens s’affairent, effrayés.
La mort est là, disent-ils, en croyant que je ne peux les comprendre.
C’est un juif, dit un médecin.
Sans étoile, ajoute une infirmière.
Ni mauvaise, ni bonne, conclut l’anesthésiste.
Certains ont ri. D’autres, pas.


Sur mon ventre refermé une femme a disposé des glaïeuls entrelacés à mes mains sales. Elle savait que je ne pourrais pas refuser. Ils étaient blancs.
Mais mon cadavre sommairement lavé était plein de peinture.
Plis.
Ongles.
Cernes.
De toutes les couleurs.








[1] Lui je ne le vois que quelquefois dans la rue, habillé avec un costume bleu chic de chez Barclay, toujours très pressé. Je lui dis bonjour, mais il ne parle que pour se plaindre de la radio des voisins qui est c'est certain infernale, tant qu'elle est forte et nous empêche même de travailler. Il préfère écouter des disques avec de la musique de Bach. J'ai voulu lui prêter des disques de musique moderne de jazz, que j'ai en grand nombre, cependant il n'est pas intéressé. (extrait d’une lettre d’Henry Miller adressée en 1939 à Jean Giono)

[2] En 1919, le professeur Louis Verain, de la faculté des sciences d’Alger, mit au point un appareil d’éclairage qui offrait une plage lumineuse concentrée et orientable, supprimant presque totalement les ombres portées. Cet appareil fut commercialisé à partir de 1920 par la société Barbier, Bénard et Turenne qui s’était déjà spécialisée dans la fabrication d’optiques de phares, de projecteurs de marine ou de DCA pour l’armée, de matériel d’éclairage pour aérodromes ou vols de nuit. L’invention du « scialytique » (du grec skia/ombre et luein/dissoudre) améliora radicalement les pratiques des médecins.

jeudi 29 novembre 2012

Des qui dont j'aime que j'aime

Des qui me disent: ça y est? Tu pars plus?
Des qui me demandent: ça va?
Des qui dont j'aime que j'aime.

Evidemment, j'ai une maison.
Evidemment, le vent souffle.
Evidemment, je mets de la ponctuation.

pop up F.R.


Le bonzom donne la main au zoizeau.
Il y a des mézanges ce matin.
Et un ciel qui durbinette serré.
C'est-à-dire le vent.
Alors gris, alors soleil, alors au travail.
Mais non. Dois apporter à ma voisine caramels salés.
Porte close, retour aux bonzoms, coquilles, carnets du fils.
En a apporté beaucoup, dos cousu collé, chutes de livres.


Du travail, au travail, fais quoi? fais rien.
Bruits de la maison reconnus. Rien à voir avec ceux de Beauséjour.
Difficile à penser, ça, être ici et en même temps dans la pièce où écrivait le heimatlos.
Ou n'écrivait pas. Ou rêvassait aux décombres d'un monde ancien.
Menuiserie Guitton: ne fabriquerait-on plus d'étagères et bibliothécaires qu'en Ikéanie?
De toute manière, les livres, pfuittt...n'en ont plus besoin les gens.
D'ailleurs c'est comme écrire. Ta voisine, elle lit tes livres?

Je dois aller la voir pour lui donner des caramels bretons et payer le moulin à huile.

Dans mon village, des qui disent en parlant de SD, c'est la dame qui écrit.
Simple. Comme la neige et le vent en hiver. Papier blanc, encre et le tour est joué.
Le chien retrouvé ronfle. Le chaton tente d'attraper le soleil. Il ne sait pas encore de quoi est fait un reflet. Nous mangeons sur des sets de table où est écrit en grandes lettres MIDI MINUIT POESIE.
Il y a des reflets à cause qu'ils sont plastifiés et que la lumière est allumée, à cause qu'il fait sombre. L'ont été à Rennes, pas très loin de la place Hoche et de l'école des Beaux-Arts. Ces 4 sets de table informent mes enfants et nos visiteurs.
( Les informent surtout de ma vanité).
On ne sait pas ( moi en l'occurrence, amis d'autres aussi) ce qui pousse quelqu'un d'à peu près sensé à faire ce genre de geste: donner à plastifier un set de table en papier que les organisateurs du festival de Nantes avaient distribué aux restaurateurs et hôtels de la ville et ensuite en recouvrir la table commune, de sorte que tous ceux qui passent par là, se mettent à parler, non pas de poésie et surtout pas de la mienne, mais de l'aéroport de Notre Dame des Landes, sur lequel j'avoue ne pas avoir d'avis personnel.
Un avis collectif plutôt.



Je suis en résidence chez moi. Enfermée. Le jardin est en bataille. Aucune mer à l'horizon. La colline tangue comme un bateau en perdition. Moi aussi?
C'est un peu étrange après Beauséjour d'être à ce point entourée de Bretagne.
Nathalie Guen avait commencé le travail et le voilà qui se poursuit avec le vent et les coquilles St Jacques.
L'odeur du sel ronge les murs de la maison. Il faut faire du feu. Brûler les mauvais souvenirs à chaque retour de l'hiver.
Peu de feuilles aux arbres. Dans la boîte aux lettres, peut-être. Il faut que je sorte voir ma voisine au joli nom d'Incarnacion. Tout parle l'étranger ici. Même les provençaux qui croient parler français. Et utilisent sans s'en douter des tournures étrangères à la langue française, par exemple, ils ont le rhume et vont au docteur.
Mais ils continuent à soutenir le Front National.
Moi, c'est les bonzoms qui me soutiennent avec leurs drôles de sexe, leurs drôles de lignes de vie.
Plus je lis les poètes (ce matin, un peu de M.C.Bancquart, Josyane de Jésus-Bergey, dans l'anthologie Pas d'ici pas d'ailleurs), plus je m'interroge sur cette fichue idée de patrie portative. Les bonzoms, je l'espère, vont m'apporter des réponses. J'ai même mis ce matin un peu d'or sur l'un d'eux et je crois qu'il en a été singulièrement content. Et les bonzoms sont nés en Bretagne, je ne saurais l'oublier; peut-être d'une indirecte filiation (cocasse?) de ce Jean-Claude féminin que F.B m'a montré et qui depuis se balade dans ma chanson.

bonzom du soir

Robert Walser dirait, arrivé à ce point de la promenade:
poursuivons.
Et je m'en vais le suivre.






mercredi 28 novembre 2012

Punk Heidi : l'heimatlos, Durbinette et Louise Bourgeois

Nathalie Guen me l'a écrit: heimatlos a été le nom d'un groupe, le premier groupe punk hard rock français.
Des sans patrie, des musiciens.
Nathalie a oublié de préciser les dates où le groupe existait, de 1983 à 1988, surtout en Allemagne, pour justifier peut-être le choix du nom.

Il y a eu aussi avant eux un film, en 1958, qui l'avait choisi comme titre. Un film allemand avec une actrice morte en 1961, Marianne Hold.
Et bien avant, en 1878, Heimatlos est le titre d'un livre pour la jeunesse, écrit par Johanna Spyri, écrivaine suisse vivant à Zurich. Ce qui explique que ses romans aient été écrits en allemand.
La même qui créa Heidi et ses aventures, a aussi publié son Heimatlos.
Bizarre, ce goût qu'elle avait pour les mots commençant par HEI.
Je découvre aussi que le vrai nom d'Heidi est Adelheid. Heidi est dérivé de son prénom.

Sans père ni mère, et sans maison, Heidi est une heimatlos. Orpheline, pauvre, l'enfant est amenée chez son grand-père par sa tante qui a trouvé à se placer dans une famille riche de Zurich. Le vieil homme est un sauvage qui vit solitaire dans son petit chalet d'alpage.

Punk Heidi!
La Suisse nous rattrape. Une Suisse des pauvres et des riches.
Qui m'a offert les aventures de la petite Heidi, vaillante orpheline suisse?
Ma mère qui admirait tellement le pays d'où venait sa grand-mère?
Mon père qui savait mon goût des histoires?
Peut-être ma marraine. Elle habitait rue Paradis et avait de l'asthme.
Je la redoutais un peu. Toujours à me surveiller du coin de l'oeil. Que pouvait devenir une petite fille solitaire comme je l'étais, née à un mauvais moment, entre des parents qui se la disputaient?
Heidi=Durbinette?
C'est le nom que m'a donné une autre heimatlos. E.A.
Heidi/Heimatlos/SD.

Ma mère avait en elle ce sentiment d'exil. Son vrai pays, son Heimat, c'était la Suisse. Ensuite, s'il fallait choisir la France, il n'y avait que Marseille pour faire patrie. Ma mère n'est jamais allée en Suisse. Maintenant qu'elle est morte, je vais l'y conduire.


Peut-être trouverai-je une tombe, un monument où sera inscrit le nom de sa grand-mère?
La tombe de Johanna Spyri est étonnante. Encadrée de deux croix, une pour son mari et une pour son fils, morts la même année, en 1884, la sienne est plus grande et ne comporte aucune allusion à la petite heimatlos qui la rendit célèbre. C'est après leurs morts qu'elle se mit à écrire vraiment, dit la notice wiki. Or elle avait déjà créé Heidi et avant elle le Heimatlos...

Je ne sais plus où sont passés mes livres de Heidi. Je crois avoir tout lu, au moins ce qui a été traduit en français. On peut télécharger Heidi gratuitement. Voilà ce que nous apprend Google.( Monique m'a envoyé un lien pour tenter de comprendre pourquoi les noms de pays étaient féminins ou masculins. Qu'elle en soit ici remerciée. Etonnante encyclopédie que fabriquent les uns et les autres...)

Et Louise Bourgeois alors? Une heimatlos! Encore une.
J'ai aimé ses mouchoirs brodés et son usage immodéré du fil rouge.
C'est lui qui relie ensemble la punkitude du groupe français des années 80 à la petite Heidi et à ma mère, la nostalgique de Suisse. Lui qui serpente comme une écriture sur les bonzoms.


Lui, ce fil orphelin, qui me ramènera vers la mer, au large de Brest, entre Molènes et Ouessant.

mardi 27 novembre 2012

Mettre à chef, à fruit, affruiter..la douleur dans le nom Algérie

C'est ici, où loin de résider, j'habite, que va s'édifier la hutte du sans patrie.
La lutte de l'heimatlos avec la langue.
Combats de l'ange sans langue.
"J'ai vécu en maçon dans ma langue", a écrit Thierry Metz.
Un garçon que je connais, lui, a écrit sur Facebook:
rein te nuef
a prare travalie
Et le lisant je l'entendais.
Et savais combien il est difficile pour lui d'écrire sa langue si ce n'est en la maçonnant de sons.


Edith Azam est en Algérie. Elle s'y sent bien, me dit-elle.
Et pourtant ce mot.
A la maison, imprononçable quand j'étais enfant.
Nos voisins, des pieds-noirs, parlaient de violences et de souffrances en tous genres.
Je ne connaissais pas encore le mot torture, ni la douleur d'être séparés par la mer.
Les voisins avaient des fils, on jouait ensemble sur la colline. En fait un remblai de terre que les machines avaient repoussé contre le mur qui séparait les achélèmes des Tilleuls de l'Hôpital Militaire Lavéran.
On inventait des jeux pour ne pas entendre les paroles des adultes.
Je devenais le maître des histoires mais je ne le savais pas encore.
On vivait entre plusieurs pays, entre plusieurs douleurs.
mais nous ne le savions pas encore.

Elle, mon amie Zohra plus tard, séparée de ce nom d'Algérie.
Le mot commence douloureusement.
Le pays souffre.
Tout pays?
C'est Wahiba Khiari qui m'a permis de voir ce lien entre le nom Algérie et la douleur.
Algie/névralgie/antalgie.
Alger, soeur jumelle de Marseille, comme Zohra était pour moi double joyeux.
Toutes trois, Algérie, Zohra et moi, filles.

Il y a toujours cette inquiétude du sans patrie.
Qui n'en finit pas de se demander s'il existe des verbes masculins et d'autres féminins comme souffrir.
Qui dresse des listes comme d'autres des mâts.
Liste de verbes masculins?
Le verbe est comme le pays. Il y en a des masculins et des féminins.
Des patries féminines: France Finlande Islande Chine Norvège Algérie Tunisie.
Et des pays masculins: Vénézuéla Mexique Portugal Japon Danemark Maroc Mali.

Qui a décidé de ça?
Je ne sais rien de ça.
Je suis en attente de savoir.
L'étymologie?
Ou le désir bien français de classer le monde, de mettre en ordre définitivement ce qui pourrait encore bouger, trembler.
C'est une question française.
Est-ce que la France a un rapport avec la franchise, la sincérité?
Mauvaise pioche.

Un atlas, des cartes, des pays, des territoires.
Beaucoup de masculin, un peu de féminin: la mer.
En Bretagne, on s'est étonné de m'entendre dire la mer, l'auto. Devant les vagues et la marée, un seul mot pour moi, la mer. Océan du féminin.
Quant à la machine à écrire qui me transporte gentiment le plus souvent, ce ne peut être que l'auto. A une époque associée à la couleur rouge.
Ce qui me rendait le monde lisible, d'un côté l'auto rouge et de l'autre, la mer bleue.

Ce matin, j'ai dressé une liste de verbes masculins. je reconnais que c'est une idée assez bizarre. J'ai tracé deux colonnes et d'un côté, écrit l'un sous l'autre, 6 verbes de cracher à bander et de l'autre: leur tenir tête, ai-je écrit.
Il faut dire qu'en ce moment je ne suis plus à Beauséjour où j'ai découvert le plaisir d'écrire tout en colonnes.
Et puis hier un ami m'a demandé si je ne voulais pas faire l'acquisition d'une table de métier.

Je me suis demandée ce qu'il voulait me signifier: était-il temps que j'écrive sur une table de métier à mon âge?
Mais non, bien sûr. Seulement une table qui servait à des métiers spécifiques comme tailleur par exemple. Certes je brode, mais ça peut se faire n'importe où. L'invention de la broderie pour les bonzoms est venue du besoin de couleur pour eux. Je n'avais pas de bonne peinture avec moi, alors le fil, n'est-ce pas, était tout trouvé. Une table n'a pas de nécessité. Et de métier encore moins.

Ce que je retiens parfois d'un livre lu tient en si peu que ça me désole. Mais là, cette expression prise chez Xavier Girard dans son Soutine me ramène aux bonzoms de Rennes et à l'écriture: travailleurs de la semaine. Le livre de Georges Didi-Huberman ouvert ce matin leur donne des visages aussi à travers les photographies de Philippe Bazin. Peuples des semaines, voilà les bonzoms qui se réveillent en même temps que Smouroute. ils viennent du même pays. En fait un assemblage hétéroclite de noms féminins et masculins, Bretagne-Marseille-Algérie-Vent du large-îles du Frioul etc...

chez Stéphane Landois, Atelier du Hanneton

lundi 26 novembre 2012

L'arbre est toujours mort

cyprès mort à Boulbon


Et nous sommes encore vivants.
Il y a eu la route, de Nantes à La Rochelle, un avant-goût de la Camargue et de ses étangs.
Pas le paysage de l'heimatlos, me suis-je dit.
Rêvant déjà de la côte entre Cancale et la plage des Touesses, des plages blondes et des traces sur le sable.
Sans oublier la côté de granit rose, à venir.
palmier à La Rochelle

Quel pays pour le sans-pays?
Avec l'impression (pénible) de n'arriver pas à formuler exactement la direction de sa quête: langues, pays, maisons, paysages aussi. Mais aussi bonzoms morts et vivants. Amicaux.
A chercher.

Puis.
Comment se nommer sans patrie alors que.
Ancêtre maçon mourant fusillé criant vive-la-république-sept-enfants, dit le procès-verbal des événements de 1852 à Vidauban.
Grands-parents de Marseille.
Arrière-grand mère suisse.
Un pays, donc. Plusieurs.

 La Rochelle

Et la question irritante des origines (voir Camille de Toledo).
Rayer ce mot de sa langue, la langue orpheline de l'heimatlos?
Origines n'est pas racines.
Voir ici Henri Michaux : on n'est pas des betteraves pour avoir des racines.
Racines mouvantes comme frontières de la patrie portative.
D'accord avec ça.
Mais origines bourdonnants zanzari.
Ceux dont parle Dante.
Ceux que la main chasse dans l'énervement de la piqûre.
Ceux au singulier,  origine avive la démangeaison.
Au pluriel active les sens. Dans tous les sens.

Mais l'arbre de mon père est resté à Rennes, en face de la table. De l'autre côté de la fenêtre, frontière de verre.
Celui d'ici, que j'aperçois dans le vent et la pluie, est bel et bien mort, tué par le voisin irascible.

Je ne barrerai pas d'un trait le mot origine. J'essaierai en accord avec bonzoms et heimatlos de le faire valser avec le vent et peut-être de le glisser dans la patrie portative. Au pluriel. De la même manière que le sexe est féminin dans le mot patrie, l'origine est celle du monde. On ne peut oublier ça. Et aussi, grâce au rappel de Jacques Josse, dans patrie, on peut (presque) loger paria. Patria/Paria.

Loger, inviter à habiter, à résider.
Donner asile, abri, maison.
Le livre est asile de mots?
On y revient encore. Dans le livre, le chiffre 5.
S'il vit (le livre), il portera le titre féminin de Patrie portative et comme sous-titre, asile(masculin) pour le sans patrie.
pin à La Rochelle

Mais le chemin blanc commence à peine. Poussière, vent et pluie.
A suivre.

vendredi 23 novembre 2012

Sans être un paria, le sans patrie s'en va



Il s'en va, muni des cadeaux de ses amis.
Il s'en va.
Avec un poème:

"- Ma Patrie... elle est par le monde;
Et, puisque la planète est ronde,
Je ne crains pas d'en voir le bout...
Ma patrie est où je la plante :
Terre ou mer, elle est sous la plante
De mes pieds - quand je suis debout."

Tristan Corbière, in Le Paria

Ou des livres.
Ou des choses petites à enfouir dans ses poches et sa mémoire.
Cailloux, débris de bois de mer, boucles et paroles, tout.
Rien ne lui manquera s'il mène à chef sa route.
S'il ne s'égare pas dans de mauvais rêves.
Et si les bonzoms continuent à proliférer autour de ses pas.
Il pourrait ici écrire des noms.
Il aime, a aimé les listes.
Mais là, non, la couleur rose suffira à son chant.
Ce ne sera ni plainte, ni thrène.


Ce qu'il aura laissé, il l'aura emporté.
Sable de la plage qui se perd dans les poches trouées, mais non.
Un arbre continuera à lui parler la langue paternelle.

De si loin, mais voix proche et de bon conseil.
Le sans patrie peu à peu dressera les plans de sa patrie portative.
Sans plus d'inquiétude qu'au Beauséjour?
A chercher, à trouver. Petites routes nouvelles.

canal st Martin, hier

Voilà ce que se dit le sans patrie ce matin, devant la mer, à La Rochelle.

jeudi 22 novembre 2012

Le chant du départ, royaume St Martin, au beau séjour


Photo Serge Prioul


Il va falloir laisser la place.
Cette fois c'est sérieux.
C'est la fin de la résidence.

Les bateaux sont faits pour le départ comme le vent, comme la mer.
Nous étions trois dans un bateau.
J'avais aimé le livre de Jerome K. Jerome, Trois hommes dans un bateau. Un livre lu à l'adolescence, un livre où le rire et la dérision faisaient bon ménage. On pouvait rire aussi dans les livres.
La poésie hier soir se tenait en équilibre entre les mots, entre les rives.
Nous trois, hier soir sur la péniche, L'arbre d'eau.

Il y avait Denis Hirson et avec lui, l'Afrique du Sud.
Il y avait Jacques Brémond et le visage d'un mort, ouvert sur le silence.
Et tous les heimatlos assis en rond autour de nous, invisibles et attentifs.

Et des visages qui écoutaient.

Et mon royaume, je ne l'ai pas assez exploré, voilà ce que je me dis ce matin, tout à sa lumière, vu de la fenêtre. Le chat dans le pré, les poissons du canal, les oiseaux au jardin, tout est maintenant à laisser derrière soi. Laisser  place.

poisson du royaume St Martin




Sortir ses grands pieds de la terre du jardin. Regarder encore les décombres. Se dire que lorsqu'on reviendra tout aura changé, tout sera semblable. Parce que je reviendrai. L'ai écrit. Dit. Comme pour conjurer dieu sait quelle mauvaise étoile, toujours à guetter son tour derrière nous. Et puis il y a les mots, les broderies, les heimatlos nés ici et qu'il va falloir ramener, que dis-je, emmener dans le sud, eux qui sont des sans patrie bretons, les faire entrer dans la maison appelée le Moulin Brûlé, là-bas où le soleil parfois calcine l'herbe à la faire jaunir, loin de toute pudeur rose, et leur donner langue, paternelle, maternelle, bretonne, française, toutes langues étrangères pour eux qui sont à la recherche d'une patrie portative. Une péniche, voilà une bonne manière de représenter la patrie, ai-je pensé hier soir, et puis elles sont deux, amarrées mais en partance, remplies de l'air du large, oui, une bonne façon d'en finir avec la patrie des hommes politiques, me suis-je encore dit en empruntant la passerelle.

J'avais rêvé roulotte et nomadisme, j'ai retrouvé en Bretagne mon père caché dans un arbre, la mer dans l'eau d'un canal, les bateaux (de mer et de rivière) et obtenu quelques réponses à mes questions. Ma famille légère s'est encore agrandie et le menhir Jean-Claude en fait désormais partie, et je ne dirais pas les noms de tous les inconnus amis devenus et dont je ne saurais plus oublier le nom. 

Ainsi le heimatlos s'en ira, coeur léger, la besace pleine de vent et de cris d'oiseaux, de mots et de chants, le long des canaux et des plages.
Il ira sur la route blanche de Soutine, de son pas tranquille et s'attardera, nez en l'air, risquant souvent la chute comme les aveugles du tableau, mais toujours une main sur son épaule se posera pour lui dire: allez, on fait la route ensemble...Jusqu'à la mer. Celle d'Iroise mais aussi celle qui va d'Alger la douleur à Marseille l'amère, en passant par Tunis l'incertaine. 

Poursuivons.

Avec, parfois, un oiseau sur l'épaule.





mercredi 21 novembre 2012

Avoir en soi l'hiver et la mer, langue de poésie pour voyage

La tour Gabriel, Lorient, 20 novembre


Une de ces idées qui vous viennent en lisant des poètes comme Georges Perros. Des comme lui qui n'ont pas fait oeuvre au sens où on l'entend, par exemple derrière le mot carrière. Qui n'évoque pour moi que chantier et taille de pierres.
Conserver un peu de ce bleu froid qui a ouvert le ciel ce matin.
Une phrase de Kafka qu'on cherche dans son foutoir et qu'on ne retrouve pas où il est question de la forêt et de l'implacable nécessité de s'y enfoncer. Les cris des mouettes et des goélands.
Et l'arbre paternel qui sourit encore, jusqu'à vendredi, chuchote-t-il.
Parce qu'après...On n'est pas allé à Douarnenez mais à Lorient, et c'est bien de découvrir qu'à côté des tours qui percent le ciel, il y a des maisons bleues.

Lorient, 20 novembre, une maison bleue

Mais le matin nous retrouve chez nous, à Beauséjour, à Rennes!
Et là, je retrouve le pré, mon ami le pré qui ondoyait sous le vent de toutes ses herbes et se prenait pour la mer d'Iroise, eh bien!
En mon absence, on l'a fauché, volé, couché son herbe malicieuse et seul, un chat, celui qui a rendu invisible l'écureuil de Valérie Rouzeau, chat noir et blanc à l'élégance raffinée, observe les dégats en se disant sans doute que sa chasse va en être facilitée.

Le pré fauché, 21 novembre

 La destruction du paysage a commencé patiemment.
Avant que j'arrive, après le départ. J'étais la gardienne de mon père et maintenant? Rester des heures face aux décombres empêcherait des destructions supplémentaires, croyais-je.
Les plaques goudronnées de la cour de l'ancienne menuiserie Guitton luisent à la lumière.
Tout parle la langue des commencements.
Mon père s'agite.
Le vent se lève etc...Valéry encore, mais pas V.R.

mon père en autoportrait de Rembrandt


Si mon père sourit dans l'arbre,
tel chat de cheshire
iras-tu le dire?

Lectures emmêlées :Guillevic, Ronsard, Du Bellay récité en soi, " Et de moi, comme étrange, les muses s'enfuient"...

Je suis encore en face de la fenêtre, ma fenêtre d'écriture. Pourtant la ruine est à l'oeuvre, qui a nom rénovation urbaine.
Bientôt, il y aura quelqu'un d'autre qui la transformera en fenêtre d'autre regard.
Ici sont nés les bonzoms, compagnons de l'heimatlos, mon sans patrie.
Et alors?
Il y aura ici tellement de naissances à venir que je peux soulever de terre mes pieds et m'en aller, coeur léger, coeur lourd, mais qu'importe, voyageuse? N'es-tu pas là comme passagère? A bord du bateau au doux nom de Beauséjour? Tout poète n'est-il pas voyageur comme ton père l'était de peinture?

Villes aimées en Bretagne: les maritimes bien sûr, Brest, Cancale, Lorient.
Tendresses aux terrestres Fougères et Rennes. Salutation au ciel et au pré, au canal et au jardin. Aux aimés.

Mais la mer, plus que tout, à cause de la pudeur. Et le travail qui va avec, comme la rêverie.

le port de Lorient


Hier à Lorient (quel beau nom pour un port, quelle mélancolie aussi) un enfant a répondu à la question de Gwenola sur la fonction de la Maison de la Poésie de Rennes: c'est pour apprendre à parler poésie.

Apprendre.
L'arbre s'agite beaucoup ce matin, il sait mon inquiétude. Comme le ciel, lui aussi, traversé de doutes en forme de nuages.
Comme certains de mes bonzoms, je suis coupée en deux par une ligne bleue ou rouge. Nomade d'un côté et sédentaire de l'autre.
Derniers bonzoms


Aujourd'hui est un jour clair, un jour bleu aussi, comme dans le livre que je lisais enfant où la poupée Miette de la maison des Van Poppel, releguée au grenier, pouvait, grâce à Kes le corbeau, le temps d'une journée, le jour bleu, voir ses rêves réalisés. Musée éphémère rencontré aussi à Lorient, dans la grâce de moments inattendus et joyeux, ces gens occupés à créer ensemble, autour de tables, objets de fête et ce geste de nous offrir en viatique pour le retour  Rennes un beau livre-catalogue, flambant rouge: idées détournées. Lorient nous est amicale et j'ai envie de revenir arpenter ces lieux où on habite le monde détruit d'une autre manière.

Lorient, l'embarcadère, 20 novembre


Comme le compagnon blanc, petite fleur des talus, voisine avec l'ancolie et le coquelicot, ce soir nous serons trois à voisiner pour tenter de parler poésie, au balancement de l'eau sous le bateau répondront nos voix. Et puis...il faudra laisser la place.

dimanche 18 novembre 2012

La pudeur de la couleur rose: mettre à chef!

Cette couleur, c'est le poète Bernard Vargaftig qui me l'a donnée.
Déjà ma petite voulait que je la trouve belle.
Rose, disait-elle, si jolie.
Et je voyais ses joues brunes et ses yeux, et aucune couleur rose.



Elle aurait pu, petite, comme ces enfants dans les classes, me demander où je trouvais mes mots.
Elle n'en a aucun besoin, voisinant depuis sa naissance avec les jardins et les collines, la mer et les plages où elle et moi avons ramassé les débris et les couleurs dont nous avions besoin.

L'intérieur des coquillages, le matin sur Beauséjour, la rose Cuisse de nymphe émue, et voilà la roseur
de la rosée!

"Or  appelle et bêchevette la fille dans la mère...

et plus loin

Or appelle et nous bêchevette l'est dans l'ouest"

Une autre poète me donne ce mot, Nathalie Riou, mot malicieux pour lequel la couleur rose est celle choisie! Qu'elle en soit remerciée, celle qui me guée vers la mer.
.........

Aujourd'hui répétition de ce qu'est un départ. Petite valise à faire. Dentifrice et brosse à cheveux. Nuit ailleurs. Premier exil. Le heimatlos va retirer ses pieds englués de terre pour s'éloigner un peu, quitter la Bretagne nord pour la Bretagne sud. Il y avait eu Nantes. Mais c'était il y a si longtemps, au début de mon habitation. Je n'avais pas encore de patrie ici. Pourtant j'avais ressenti que Nantes ne serait pas une maison pour le heimatlos. Par contre Brest. Par contre au loin Ouessant. A cause de l'espace ouvert, peut-être. De la mer ici gentiment évoquée par l'eau du canal et son mouvement léger.

Un ami cher me dit qu'il sent mes mots se presser comme pour donner et prendre tout ce qui est possible avant le départ. Je regarde la chambre, la pièce où j'écris, mes chers décombres, le ciel rosissant comme peau de jeune fille, mon désordre aussi, les bonzoms au mur, mon père l'arbre, ce matin, immobile comme s'il refusait de me sourire aujourd'hui, la place de mon corps dans le lit et le heimatlos est déjà en partance. Son emploi du temps ici, aussi peu réglé qu'il soit, lui a donné une table à écrire, à broder, à dessiner. La-bas, dans le sud, il lui faudra tenter à nouveau de planter dans le vent la tente légère où il pourra étendre son corps et à la fois dormir et vivre.


La résidence s'achève vendredi, jour de vénus. Ce ne sera pas pour rien. Mercredi: jour de Mercure, nous lirons, Denis Hirson, Jacques Brémond, ensemble, sur un bateau, l'odyssée des heimatlos que sont les poètes. Tous les poètes. Les 14 précédents et nous trois. Dans trois jours.

Dans le remuement de la mer, le petit peuple ami...

Ce soir pourrait laisser place.
Non pas prendre mais laisser.
Laisser aller la mer.
Entendre son remuement.
Se laisser aller aussi à marcher pieds nus.
Ôter ses chaussures. Les jeter en l'air.
Courir.

Comme si rien ne finissait jamais. En Bretagne mes dimanches auront été solaires.
La plage, la mer, les rochers et là-bas, entre les arbres, presque facile d'y pénétrer, la maison de Colette, et l'envie enfantine de passer outre la clôture et de glisser sous les grands arbres jusqu'à la terrasse d'où la belle dame voyait la mer. Mais ne l'appréciait guère.


Toutes les ombres avec le soleil, les chiens qui courent sur la plage, nos pas, des milliers de pas qui tressent des présences invisibles que la marée haute effacera. La mer se laisse aller et nous aussi.

C'est une mer familière et étrangère.
Belle, qui boulègue, comme on dit dans le sud.
Mais là, presque sage, douce, qui se laisse aller sous nos yeux.
Comme toujours devant elle, l'émotion de la sentir si identique à elle-même, où qu'elle s'allentisse.
La mienne, la Méditerranéenne et celle-là, si proches que je répète: j'ai besoin de la voir et la revoir.
Qu'elle soit en mouvement ou sage, turquoise ou grise, je la reconnais toujours.
A la différence de la mère, et pourtant lui ressemblant, elle ne me fait jamais peur et puis, elle ne meurt ni ne vieillit.
Ce que je redoutais dans la marée, cette disparition, l'absence, les bateaux sur la quille, ici ne provoque en moi que joie. L'incompréhension que je témoignais alors en face de la marée a disparu.
Valéry etc...




Et voilà que l'ami Denis Hirson appelle: il faut préparer notre lecture.
Et voilà que mon fils aîné aussi. 
La fin du voyage est annoncée. Il va falloir arrêter tout ce qui a commencé ici. Vraiment?
Regrouper ce qui est épars. Répondre à la question: ai-je donné une maison au sans-patrie, le heimatlos? Retrouver ce geste machinal et pourtant inhabituel des feuillets que l'on met en ordre en les alignant. 
Faire des valises, ranger les livres, jeter ce qui est à jeter. Rendre mes clés.
Qui seront les clés d'un autre poète, résidant comme je le suis, et bientôt ne le serai plus.
Quitter la petite patrie de Beauséjour et tous ses hôtes et bonzoms. 
Les décrocher du mur, les emporter. 


Il y a aussi l'ami Jacques Brémond qui me parle du canal St Martin et de l'eau sombre.
Et doucement s'annonce la soirée du 21 novembre.
Et  voilà que Schubert pleure dans la montagne.
Et voilà que s'avance la nuit.

Après tant de lumière et la mer, l'obscurité noie Beauséjour : il reste à rêver encore jusqu'à mercredi.
Demain, Lorient.

Je sais déjà que je reviendrai. A cause de la mer bien sûr mais aussi et surtout du petit peuple ami qui chaque jour un peu plus se découvre et dont je ne saurais plus me passer.
Me laissant aller à la douceur. 








samedi 17 novembre 2012

Papiers trouvés/décollés

Ce matin, il pleuviote doucement.
Joie petite de la douceur.
Odeurs parfumées de la terre.
La brodeuse installée devant la pluie se fait rêveuse.

Elle rêve de ramasser des décombres. Alors son bonzom se fait oizo.
Le bleu lui fera des zailes.
En face, de l'autre côté du mur, au-delà de l'arbre paternel, les ruines de la menuiserie.
On ne peut y couper. On ne peut pas ne pas voir. Alors on regarde.
Hier deux garçons en bonnet rouge ont arpenté la menuiserie en ruines à la recherche de trésors.
Je les ai pris en photo. En vain. Que peut-on découvrir sur une photo qu'on ne verrait pas avec ses yeux?

Après les courses, et aperçu les chaussures envolées sur leur fil route de St Malo, j'ai décidé d'aller marcher sur les décombres. Pour voir, de loin, ma maison de poésie. Pour m'éloigner d'elle, un peu.
Pour apprendre d'elle ce que c'est, d'être loin. Un peu. A peine.
Avec, dans l'auto, tartes et gâteaux pour amies en visite tout à l'heure. Nourrir le rêve. Nourrir mon départ prochain.
C'est ce que je fais en parcourant l'espace encombré de décombres, pierres et poutrailles, blocs et débris. Ici le mot gravats a un sens. Et je gravis les gravats, joyeuse à l'idée d'une possible découverte.


Du papier! Rescapé des pluies et destructions: une facture où on parvient encore à lire quelques noms de grandes villes du travail: New York, Tokyo, Bruxelles, Milan, Nuremberg...J'espérais y lire Lisbonne. De la terre aussi, comme une volonté de barrer tout ce qu'évoque le papier rescapé d'un temps disparu. Les garçons entrevus hier ne l'ont pas ramassé. Et pour un temps, avant mon départ, il restera là, à se réchauffer sur le radiateur avant de rejoindre la poubelle...Qui sait si Smouroute lui-même n'en ferait pas un vêtement breton? Je me souviens de cette belle grande affiche déchirée à Lisbonne, bleue et si pleine de mots étranges, dont j'ai pu récupérer quelques morceaux arraché sà la palissade, qui sont maintenant dans un grand dessin smouroutien.


Dans les décombres, outre les pierres et gravats, il y a de grandes plaques colorées, que d'anonymes artistes de rues ont peintes. Un rêve de l'heimatlos: en ramener une ici pour en faire une table à écrire pour tous les heimatlos qui traversent cet endroit. Une sorte de table de mémoire du quartier St Martin.
Et il faut trouver un rosier pour célébrer la vie, Anne-Marie Albiach, Soutine, Roberto Bolano.






vendredi 16 novembre 2012

Trois crânes d'Aaron Clarke sont arrivés canal St Martin

Hier.
Et il sont là.
Posés comme oiseaux sur le fil.
Fil du temps.
Mon père a dans l'arbre doucement remué.
Merle a sifflé.
Ma mère est morte depuis un an aujourd'hui.
Anna, son arrière-petite-fille a 8 ans aujourd'hui.
Trois crânes sont venus.
père et mère


Au lycée ce matin en ai montré un aux jeunes.
Vanité. 
Ai raconté mon père dans l'arbre du matin.
Peut-être pour dire combien certains morts sont vivants.
Pour sourire aussi de la peur, celle qu'on a devant les morts.
Souvenir d'un poème de Guillevic parlant des morts, de leur timidité.
Lu aussi  la liste (assez brève au fond) des femmes déportées au camp de triage de Douadic.
Me l'avaient demandé, les lycéens, de la lire pour entendre le rythme.
Quelle légitimité pour écrire ces noms ou l'absence des noms.
Tentative un rien maladroite d'expliquer la nécessité de dire ces noms.

Puis les trois crânes.
Immédiatement mis ensemble et reliés par le mot de famille.
Nous étions trois, puis deux, puis une seule.
Leur ai lu ce passage qui évoque le départ de mon père de la maison.
Nous retrouvant deux, la mère, l'enfant.
Mon père, roi des luna-parks et de la barbe-à-papa.
Le voyageur de peinture.
Celui qui agite les arbres pour faire rire sa fille et lui raconte qu'à Orange poussent des oranges et qui n'hésite pas à maquiller un figuier en oranger!
Il me donne la clé des noms comme d'autres, celle des champs.
Mais aussi la mer.

Ma mère survole les eaux du canal et soupire, ce qui produit sur l'eau de légères irisations.
Elle en peut s'empêcher de voler, de courir, de bouger en tous sens.
Elle, la nageuse.
Ma mère sur l'eau.
Mon père dans l'arbre.

Nous vivons ensemble de ça.
Mouvements divers. Agitation du bébé dans les branches (Hélène Sanguinetti) .
Dettes amicales.
Emprunts qu'il n'est pas nécessaire de rendre au taux en vigueur.

J'ai dit: nous sommes aujourd'hui à J-5.
Que ferons-nous du 21 novembre?

Père dans l'arbre
Mère sur l'eau
à se disputer
un peu de langue

ce qu'il en reste

A rajouter à l'heimatlos pour lui donner un peu de corps, un peu d'espace.
Sans patrie entouré d'amis
danse même la nuit
quand il a peur!


bonzoms de Beauséjour



Et comme lui, comme la pénélope du soir, tisser de nouveaux bonzoms!


jeudi 15 novembre 2012

On sait que ça va finir, alors on continue


On sait que ça va finir.
Tout.
Mais là.
On se demande.
En redemande.
Mais non.
Il faudra aller vers le futur, ce qui dans le tableau est à venir.
A Beauséjour, ce qui est difficile, c'est la nuit.
Elle éteint les paroles.
Suis-je une fille du jour?
Oui, sans aucun doute.
E pourtant j'ai écrit dans Chaussures vides:
J'aime vraiment la nuit.
Mais ce pays était celui de la nuit de Saorge.
Montagne, Italie proche, frontière instable de la patrie portative.
Ici, le canal coupe en deux la nuit et le jour.
Comme la vie à Beauséjour.
Bruissante le jour.
La nuit, solitaire, en résidence.
Et pourtant.
Je ne veux pas que ça finisse.

Lis Edith Azam.
Tellement belle-garçon-belle.
Lis, beaucoup.
Me demande.
Colle, déchire, découpe. Assemble.
Textes, tissus, papiers.

Réfléchis à la langue, celle de l'ennemi?
Pour ma mère, la vaillante guerrière des mots, l'anglais.
Pour moi, plus simplement, la trop facile mienne.
Motus, c'était son nom de famille.
Mother Motus.
Elle n'aurait pas aimé que je l'appelle comme ça.
Motus, c'est le mouvement en latin.
Bon, mauvais.
Terramoto: tremblement de terre.
Ma mère la violente, l'énervée.

Ce matin encore, mon père m'a salué en agitant légèrement l'arbre en face de moi.
Près des décombres. Mais les pieds dans  l'herbe.
Trop calme, mon père.

Et là, entre décombres et canal, mon père dans l'arbre, ma mère sur l'eau, à se disputer un peu de langue, celle de leur fille, celle qu'elle essaie de leur faire entendre, là où ils sont et où,  demande la petite Virginia, ils se disputent encore?
oeuvres d'Aaron Clarke, travail en cours

Se composer une famille, Bolano, Sebald, des morts aussi, mais faciles à rencontrer.
Hier, j'ai tenté d'expliquer, sans me justifier, mon besoin de fabriquer, construire, coller.
Quelqu'un a dit: oui, rattraper le temps perdu.
Bizarrement, je pense à la cigale et la fourmi.
Edith A. m'appelle la fourmifolle.
Et moi, cigale?

Mais aussi famille de vivants, vifs même.
Qui m'encouragent à vivre de mes mille activités formiculaires.
Qu'ils en soient remerciés, eux qui savent que je ne rattrape pas le temps, mais tente, comme eux, comme d'autres, de lui donner forme.

Bonzoms, smouroutes, heimatlos.
Cohortes tendres de sans patrie.
Il reste encore 7 jours à vivre à Beauséjour.