Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mercredi 30 janvier 2013

..."être méditerranéen, c’est participer à un récit de voyages" .

Alors le voyage.
D'abord un reste de colère à évacuer.
L'identité méditerranéenne ne peut être restrictive.
Elle est le bateau d'Ulysse, elle embarque celui qui sent en lui le voyage.
Pour qui toute terre est mouvante.


La Méditerranée est la mère de tous les océans, de toutes les mers, de tous les lacs, fleuves et rivières.
Berceau-bateau-amande-amère-mère-avide-cercueil de tempête.
On ne peut y échapper.
Jamais prison, jamais raison.

Tout ce qui enserre, enclôt, entoure, enferme, la Méditerranée l'ouvre, le brise, le défait.

Herman Melville est méditerranéen comme Moby Dick.
Et le fracas des vents et de la mer.
De Nantucket à Kerkennah.


Du Nord extrême tant aimé ( Laponie des étés et des hivers sans fin) au Sud palpable comme le sable.
Ancêtre naufragé en mer de Chine sauvé par la vierge du bord.

Ce soir mal à la terre. Trop loin du Portugal, trop loin de la Tunisie. Trop loin du Cap Creus. Trop loin de Marseille.





lundi 28 janvier 2013

Toujours choisir la troisième solution: foutraque mal le dit!

Ecrire trop.
Ecrire assez.
Trop peu.
Trop.
Comme on mange.
Trop.
Ou pas assez.
Juste ce qu'il faut?
N'existe pas.
Poètes maigres contre poètes gras?
Ou le contraire.
Femmes minces contre grosses femmes .
Maigreur sacrée royale.
Vaches maigres, vaches grasses.
Veau d'or.
Plutôt le contraire.
Toujours choisir la troisième solution.
Fatras foutraque de fatrasie de Bolano.

Dessin SD

Démesure.
A petits pas mesurés.
Quand on est vieux, facile de marcher petits pas.
Quand on est jeune, courir.
Si simple, déplacer les pieds sur la terre?

Terre qui sent.
Odeurs mauvaises qui odorent le nez.
Corps qui sentent. 
Sente de terre au bord de Bretagne.

Terre qui colle aux pieds.
Si pieds nus, sinon chaussures.
La mort en terre. Rarement en ciel.
Quelquefois en mer.
canal St Martin, photo SD

Case à remplir: maisons en langue d'Italie.
Besoin de remplir page, ventre, panier, jardin.
Langue déjà usée à parler: foutraque bottin traverse.
Et qui continue à remplir ta bouche. 
Voire cheveux, poils, ongles poussant en anarchie.
Voirie des mots de trop: bordilles en insultes de mère.

De bordilles à bordures en broderies on aborde en terre.
Terre mouvante à force de trop.
Si peu de forces restent encore aux aimés.
Les lointains aimés, toujours à se terrer en silence,
morts discrets,
pas comme bavarde grosse à trop écrire mal le dit.

Dessin SD






vendredi 25 janvier 2013

Le présent passé: trois souvenirs fragiles

Il s'agit aujourd'hui d'inventer le temps du sans patrie.
Son espace, on l'a vu, est un espace dilaté, distordu, mêlant le nord et le sud, l'est et l'ouest.
A son image.
On l'a vu se tordre en tous sens pour épouser le fil.
Les méandres du fil et ceux de la brodeuse.




Ce temps du sans patrie qui n'existe pas comme temps grammatical, ni mode verbal, pourrait se nommer le présent passé. Les latinistes seront d'un évident secours car en latin il y av des temps et modes qui auraient pu en être proches.
Seul temps humain véritable, le présent passé.
Temps que les enfants explorent et que les adultes ont peur de vivre.

C'est en rangeant de vieux albums de timbres où la géographie ancienne parle aussi de l'histoire et de ses révolutions, que ces mots, passé présent, me sont venus à l'esprit. Il y avait là de vieilles cartes postales et des morceaux déchirés d'enveloppe qu'on avait conservés pour les timbres. S'y lisaient encore les noms et un peu de l'adresse. Tout, dans ces albums et les papiers qu'ils recelaient, parlaient une langue ancienne à l'image de l'encre violette utilisée par le ou les collectionneurs. Sur celles que j'ai photographiées, les timbres témoignent de la présence de l'expéditeur en Indochine, plus exactement à Saigon, nom qui a coloré mon adolescence parce que ma mère a cru longtemps pouvoir hériter d'un terrain qui avait appartenu à une tante et un oncle, vraisemblablement les correspondants de mes parents. 



En regardant les bouts d'enveloppe qui portaient l'adresse de mes parents, m'est venue l'envie de leur écrire. De leur envoyer une lettre à cette adresse, rue des Polytres à Marseille où ils habitaient avant ma naissance. Tous les deux, si jeunes, si beaux aussi, dans leur ignorance de ce qui allait les séparer et les tuer, je les imagine ouvrant ma lettre. L'envie aussi de lire leur réponse étonnée: qui êtes-vous pour nous écrire? 

Ils vivent encore dans leur passé et ce passé est présent dans l'écriture de leur adresse et dans l'encre bleue. S'est glissée entre eux une autre enveloppe déchirée où figure mon nom. J'habite avec ma mère, mon père est parti depuis longtemps, et je crois à la collection de timbres qu'ont entrepris des parents oubliés. On m'écrit, une amie d'origine espagnole qui m'agace un peu parce qu'elle dit du mal du Portugal et qu'elle est très catholique. Et puis elle est assez riche et fait du cheval. Tandis que je vis avec ma mère dans une achélème, à Marseille et ne suis jamais montée sur un cheval, ni partie à Tossa de Mar, sur la Costa Brava. A cause d'elle, j'ai commencé une collection de cartes postales. Presque toutes envoyées par elle d'Espagne. Je pourrais écrire à cette amie que je connais maintenant Blanès puisque j'y suis allée l'an dernier en souvenir de Roberto Bolano, un chilien. Mais pas du tout en pensant à elle, que j'avais tout à fait oubliée.

Présent passé où se bousculent en cette après-midi de grand vent glacé et de soleil l'Espagne, ma mère, cette amie de Béziers, Bolano comme souvent, mon père et ce nom de Polytres dont je n'ai jamais trouvé à quoi il se rapportait. Dans ce présent disparu tout va ensemble comme dans les albums de timbres où voisinent la Russie avant la révolution, les colonies françaises et l'Algérie indépendante. 



Mais cette après-midi, j'ai redécouvert l'écriture d'André Suarès : "Cette magnifique table de feu et de sang, entre l'Europe et l'Afrique, l'Espagne..." et je regrette que le texte de Marsiho joué, vécu même par Philippe Caubère (vu au Festival d'Avignon l'an dernier et joué aussi à la Maison de la Poésie cet hiver) ne soit pas présent pendant l'événement Marseille 2013, présent passé? 

A l'amie espagnole de Béziers dont j'ai (presque) tout oublié, je dédie mon incapacité à mémoriser la 
manière de faire une tilde sur un clavier d'ordinateur. 

A l'amie partie, perdue, envolée le samedi 12 janvier, que puis-je dédier si ce n'est cette rose au doux nom qu'elle aimait, cuisse de nymphe émue? Que le vent disperse ses pétales dans le vent près de la mer...Et l'accompagnent les mots d'une poète, Albane Gellé:

Tenir à plat milieu des
mains trois souvenirs fra-
giles épais cherchant à voir
par-dessus bord maladroite-
ment posés debout.

Si je suis de ce monde, Cheyne éditeur.





mercredi 23 janvier 2013

En SUISSE avec SOUTTER!





A PROPOS DE LOUIS SOUTTER(1871-1942)


« Ce n’est ni beau ni correct, c’est exact,
Je peins avec de l’encre et du sang, je peins vrai. »

Herman Hesse, poème sur Louis Soutter



Peindre vrai. Vivre vrai.
La Suisse est le territoire-prison, la maison et l’asile de Louis Soutter.
Suisse marâtre et maternelle à la fois.

En 1923, à Ballaigues, dans le canton de Vaud, où il est enfermé contre son gré, Louis Soutter fait éclore la peinture où l’on attendait la folie.
En 2008, à Ballaigues, on a tout oublié de l’asile et de Louis Soutter. Sur les dépliants touristiques, on vante la beauté de ce charmant village suisse aux belles maisons traditionnelles. Au cimetière on trouve toutefois une plaque commémorative. Louis Soutter, la honte de la famille devenu la honte de Ballaigues ?
Revenu de tout et des Etats-Unis, lâché par l’ambition, le mariage et même la musique, Louis Soutter à 52 ans entreprend une œuvre à l’âge où beaucoup ont renoncé à faire oeuvre.
C’est un homme usé dont le corps pèse peu. Louis Soutter est tout entier tourné vers l’intérieur, pratiquant l’abstinence, asséchant ses personnages à coups d’encre et de crayon jusqu’à les rendre essentiels, sans boursouflure ni chair, mais remplis d’intensité et de mouvement. « Regarder dehors », écrit-il à son cousin Le Corbusier,  « pourquoi ? » Lui n’aime que les maisons sans fenêtres. A l’asile, tout est transparent et chacun est observé. Pas de dehors, ni de dedans.

Plus le temps passe et à Ballaigues le temps est long au milieu des vieillards et des fous, plus L.S. s’octroie de temps en temps des échappées, comme son compatriote, l’écrivain Robert Walser, interné à Herisau, dans le canton de Appenzell-Rhodes Extérieures, et la marche devient l’exercice qui permet de supporter l’enfermement, les brimades et les moqueries du personnel. Marcher comme jeûner permet d’extirper de soi le gras, celui de la chair mais aussi de l’esprit et de revenir vers l’asile, vers le dessin furieusement, en utilisant tout le corps mis à nu. Il se livre de plus en plus avec passion à une peinture gestuelle et emportée, dessinant avec ses doigts, comme s’il obtenait de ses jeûnes répétés une tension et une énergie renouvelées. C’est ainsi que s’accomplit une étrange danse zigzagante sur le papier et dans la pièce où peint l’artiste. Quelques regards amicaux et avertis le libèrent un peu des sourires sarcastiques des soignants. Son travail, peu à peu, est reconnu comme tel. Jean Giono lui donne de quoi acheter papier et crayons. Son cousin Le Corbusier lui apporte des livres. De la même manière qu’il détourne les livres que lui offre son cousin en dessinant d’extraordinaires marginalia , il détourne les chefs d’œuvre de la peinture en les copiant et en les interprétant de sorte qu’ils deviennent des œuvres de LS à part entière : crucifixion, pietà, golgotha, madone, tout lui est bon. Peintures noires, comme on le dit de Goya mais aussi de Soulages, celles de Soutter laissent parfois un peu de place à la couleur. Mais le noir prédomine, il est le sang de sa peinture.


Le peintre est aussi poète. Les titres qu’il inscrit à l’encre sur ses dessins forment une longue chaîne poétique, dévoilant un imaginaire riche et singulier.
Qu’on s’attarde sur ses titres et on verra se déployer un univers étrange et personnel où la mort croise la vie sans cesse, où la danse et l’immobilité se rencontrent. Qu’on en juge plutôt avec ce choix de titres:
L’humour noir:
Depuis l’orang-outan jusqu’à l’humain,
L’obus printanier
Midi des nonagénaires
La mort :
Dans un grand vase vide en cristal meurent des fleurs,
Eclaboussures du crime,
Crépuscule du gangster,
La religion :
Enfer des abbesses,
Pâques, ceci est mon sang,
Mutilés par les saints,
La femme entre la croix et le serpent
L’angoisse :
Soleil de la peur,
Echos de détresse
Catastrophe,
Coup d’envoi au crématoire
La nature :
Nature fabriquée,
Cerises cyclopes en enfantement clos,
Les dons des grappes
Trois êtres des bois sans vie

L’humain

Tourments des nus, temps du pneu

Employées de sang
Station des irrépréhensibles
Hôtes de roulotte,
Souplesse,
Entre nus, gâteux tous
Pauvres gens et leur bois mort.

Ce ne sont que quelques exemples de la dimension que Louis Soutter donne à ses oeuvres en utilisant les mots à sa manière pour traduire l’inquiétude fondamentale qui le traverse. Son écriture est sèche et se cale dans les creux du dessin, parfois raturée, inversée même ou illisible. Ces titres pourraient être des phylactères comme dans Nous souffrons d’amour ou des sortes de légendes comme dans De minuit au jour, accompagné du mystérieux et troublant Trapeau de SD. Dans Salons américains du tragique New York, l’écriture se fait palimpseste et se cache dans l’oeuvre.
En lisant les différents titres, comme en regardant les dessins, nous découvrons des entrées possibles dans l’univers de Soutter, des échos de sa vie ( Jeûne par exemple ou Entre nus, gâteux tous, ou encore Midi des nonagénaires), les lieux qu’il a fréquentés mais inscrits de telle façon que le spectateur soit aussi lecteur de l’œuvre en train de se faire. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à observer le travail d’enlumineur auquel il se livre sur les ouvrages qu’on lui offre.

L’encre, les mots, les livres et les dessins.
Tout un territoire à explorer.
Le territoire noir de Louis Soutter, peintre, suisse et poète.

SD

mercredi 16 janvier 2013

Le vent, Marseille et les ex-votos



Aucun rapport entre le vent, glacé qui souffle sur la plaine, et les ex-votos de la Chapelle du Verger, près de Cancale ?
Sans doute.
Si ce n'est que ce matin, le ciel a ce bleu que l'on retrouve dans la peinture de la mer, sur ces petits tableaux (il en existe des grands) dont le souvenir est vivace au point que j'ai commencé une série.
Après les bonzoms, les ex-votos?
En fait, les deux trouvent leur origine dans Marseille.
Notre Dame du Verger comme Notre Dame de la Garde, si elle est plus modeste, se tient face à la mer.
Marseille est aussi un pays de marins et de pêcheurs. la mer, l'amie, l'ennemie.
Devant les ex-votos, on reste sans voix. On regarde.
Et tout cela se relie et prend sa source dans l'enfance marseillaise, plus exactement.


Il est de coutume de se rendre à Notre Dame de la Garde dès qu'une prière, une douleur, une inquiétude taraudent les habitants de la ville. Ma mère n'a pas dérogé à la règle. Elle a même poussé le zèle jusqu'à monter les derniers escaliers à genoux. En tout cas, c'est ce qu'elle me racontait pour m'impressionner. Mais j'étais déjà un peu rebelle, n'y croyant qu'à moitié.  La Bonne Mère, si j'y vais encore, c'est surtout pour regarder de là-haut Marseille, les îles et la mer. Et aller voir les ex-votos.

Ce que j'aimais, ce que j'aime toujours pourtant, moi qui ne crois qu'en les petits dieux, ce sont les ex-votos de forme diverse qui sont dans l'église. Dans la crypte aussi. Maquettes de bateaux, tableautins, jambes de bois ou encore dessins, plaques de marbre gravées. J'aimais beaucoup cette expression populaire de la vie sauve. Naufrages auxquels on a échappé, maladies dont on est revenu, expéditions, guerres, accidents. De voir ces objets suspendus comme des mobiles de Calder m'a toujours plu. Il y avait là un paganisme que je voudrais voir encore. Il y en a de récents, souvent moins tendres, moins naïfs. Le monde change. Les ex-votos en dressent l'évolution.


Sans doute le Mucem abritera ces expressions d'art populaire. Marseille est superstitieuse. Comme l'était ma mère qui s'entourait de grigris. Et voilà que les suivant l'une et l'autre, revenant de la ville-merveille qu'est pour moi Marseille, je me suis mise tout naturellement à dessiner quelques ex-votos pour remercier les petits dieux de me laisser encore un peu de temps pour les sans patrie et les bonzoms.
Et écrire ici, alors que le temps presse.
Le temps?


mardi 15 janvier 2013

Bleu prison, Soutine







ciel de traîne, bleu prison
SOUTINE





Le vent est bleu, découvrait le peintre et il le savait depuis 1919.

A Cagnes, je l’avais enterré sous le rouge bordant les marches d’escaliers et les yeux des enfants, à Céret dans le toit des maisons, ensuite au Blanc en ouvrant à deux mains le ventre des bêtes, habillant plus tard de rouge les idiots et les morts, ne me lassant jamais de signer mon nom en rouge.


Et voilà que le bleu revenait, ce froid qu’il avait redouté et fui en compagnie de Kikoine, voilà qu’il s’étalait du ciel à la terre, de l’herbe aux nuages.
La couleur des prisons est le  bleu.
De la mer, du ciel et de la chair morte.


Seule la flèche du chemin où se mêlait un peu de rose échappait au bleu. Comme la robe retroussée de Hendrickje, la servante de Rembrandt. Le tableau avait été peint en 1654. Cette robe blanche, la première fois qu’il l’avait observée, il l’avait comprise pour ce qu’elle était, une manière pour le vieux peintre de se sauver. Mais le chemin qu’il avait peint, lui, Soutine, en 1939, se souvenant de la belle matière, ne permettrait pas aux enfants d’échapper à ce qui les poursuivait depuis la Lituanie.


Ce n’était pas un torrent, ni la chaleur, ni le ciel de Céret.
Ni même la neige de Lituanie.
Là-bas en ce temps tout était rouge.
Mais bien autre chose de noir et de bleu.
Les souvenirs longtemps avaient pris la couleur des rochers et des viandes.
Tout ça saignait dans sa mémoire mais ça n’avait rien de triste.
Et puis tout avait basculé.


Peut-être était-ce venu avec la musique. L’Allemande. Une musique bleue, naturellement. Presque noire comme une forêt. Il ne s’était pas méfié. On ne se méfie pas de la beauté. C’était lui qui avait voulu s’en emparer comme de tout ce qui le précipitait dans la sauvage acceptation du monde. Mais là point de folie. Une douceur mortelle.
Car la musique de Bach était la plus belle du monde, au point qu’il avait cru le compositeur encore vivant. Avait demandé à le rencontrer. On lui avait ri au nez. Mais lui : je suis Chaim Soutine, le peintre. Il avait acheté tous les disques[1].


Et là, au fond de lui, au milieu de son corps, ce trou.
Hurlant. Trou du ventre. Rouge. Mais non, bleu, avait murmuré la petite voix. Personne ne comprend ce que tu veux dire quand tu dis : cette douleur est bleue. Et pourtant c’est vrai. Mais les médecins ne savent pas ce que je veux dire en utilisant de la couleur pour décrire une souffrance. Ils ne savent rien du tout! Sont bêtes brutes ignorantes !
Pour eux l’intérieur d’un homme est rose, à la rigueur rouge, mais bleu…
Non seulement ils me croient fou, mais disent que je suis un malade imaginaire !


Heureusement le blanc apaise un peu le cri, panse un peu la plaie.
Il faut juste que nous trouvions lait et bonbons.
Du lait pour la douleur.
Des bonbons pour les enfants.
C’est vrai que parfois cette pauvre femme m’offre des glaïeuls. Pour me redonner du rouge et rendre un peu de couleur à mes vieilles toiles.
Parfois aussi le feu.
Pendant longtemps arbres et maisons. Quelques vivants presque morts. Des enfants idiots et fanfarons.
Et enfin ceux-là, sortis en courant de l’école et moi, avec mes pinceaux et mes couleurs, bleu, vert, blanc, tentant de les rattraper.
Les bonbons pour les appâter.
Et les capturer vifs pour calmer l’irritante douleur.


Mais le bleu recouvrait la toile. Même le noir de leurs sarraus virait au bleu.
Le vert lui-même, j’en venais à le voir bleuir et s’envenimer, comme l’herbe, comme les feuilles au bout des branches.



Le tableau de 1939 a été peint au futur.
Tout parle la langue de la fuite et du départ.
Il faut se dépêcher de rentrer.
Il faut se hâter de partir.
Retour de l'école, après l'orage. Deux enfants se tiennent par la main en sarrau noir, l'un  semble avoir les jambes nues. Le ciel est traversé de traînées nuageuses et le vent agite les arbres courts et l'herbe des prés que le chemin traverse. Ciel de traîne.
Le bleu domine. Avec le vert et le blanc.
Pas de signature visible. Je n’emploie plus le rouge.
Les enfants avancent sur un chemin blanc qui ressemble aux nuages et à la robe de la femme sur le tableau imité de Rembrandt.
C'est un beau morceau de peinture.
Qui fuit sur le chemin?
Où est la maison des enfants? Ils ont quitté l'école et l'orage et courent vers ce que vous ne pouvez pas voir. Hors du tableau.


Je repars en Lituanie. Les allemands sont à Paris.
Dit Soutine en montant dans l’ambulance.


L’hôpital sera blanc.
Les draps, le carrelage.
C’est ainsi qu’on soigne le sang en France.
Avec du blanc comme le lait dont j’ai arrosé mon ulcère.
Mais le lait comme le blanc des yeux devient bleu.
A cause de la lumière du scyalitique[2].


Mon ventre ouvert est bleu.
Des gens s’affairent, effrayés.
La mort est là, disent-ils, en croyant que je ne peux les comprendre.
C’est un juif, dit un médecin.
Sans étoile, ajoute une infirmière.
Ni mauvaise, ni bonne, conclut l’anesthésiste.
Certains ont ri. D’autres, pas.


Sur mon ventre refermé une femme a disposé des glaïeuls entrelacés à mes mains sales. Elle savait que je ne pourrais pas refuser. Ils étaient blancs.
Mais mon cadavre sommairement lavé était plein de peinture.
Plis.
Ongles.
Cernes.
De toutes les couleurs.








[1] Lui je ne le vois que quelquefois dans la rue, habillé avec un costume bleu chic de chez Barclay, toujours très pressé. Je lui dis bonjour, mais il ne parle que pour se plaindre de la radio des voisins qui est c'est certain infernale, tant qu'elle est forte et nous empêche même de travailler. Il préfère écouter des disques avec de la musique de Bach. J'ai voulu lui prêter des disques de musique moderne de jazz, que j'ai en grand nombre, cependant il n'est pas intéressé. (extrait d’une lettre d’Henry Miller adressée en 1939 à Jean Giono)

[2] En 1919, le professeur Louis Verain, de la faculté des sciences d’Alger, mit au point un appareil d’éclairage qui offrait une plage lumineuse concentrée et orientable, supprimant presque totalement les ombres portées. Cet appareil fut commercialisé à partir de 1920 par la société Barbier, Bénard et Turenne qui s’était déjà spécialisée dans la fabrication d’optiques de phares, de projecteurs de marine ou de DCA pour l’armée, de matériel d’éclairage pour aérodromes ou vols de nuit. L’invention du « scialytique » (du grec skia/ombre et luein/dissoudre) améliora radicalement les pratiques des médecins.

Ici on n'est pas à Marseille!


On m'a prêté un livre qui a pour titre: October snow.
Il a été écrit par Samuel Reifler. Et je ne peux le lire.
Samuel Reifler est américain. He is a cranky old guy, dixit la quatrième.
C'est un beau petit livre. Le peu que je parviens à en lire me ravit.
Ecriture poétique. Un livre qui ne s'est pas vendu.
Qui achète ce genre de livre?
Une amie américaine me dit: si peu. A New-York comme ailleurs.


Quel rapport avec Marseille?
 La phrase plus haut a été prononcée par un libraire de Montpellier pour refuser un livre.
Et en profiter pour rendre à son éditeur d'autres livres. La poésie, on n'en vend pas/on n'en veut pas.
Miralles, Glück, Durbec ou James Sacré.
Deux habitent Montpellier et non des moindres.
Quel est le critère pour vendre/faire lire/acheter de la poésie?
Etre d'ici ou d'ailleurs, le poète est toujours un sans patrie, un peu à côté. Mais non.


Peut-être habiller de technologie nouvelle le livre?
Le faire clignoter comme un sapin lorsque c'est Noël et d'oeufs de Pâques au printemps...
En faire un jeu video?
Oui, poésie en jeu.
En jeu de poésie.
Enjeu: déposer les armes. Revenir vers la solitude de lire.

Ce matin je suis désolée. Suicide d'une amie.
Brutalité des nouvelles. Triste.
On a oublié le sens du mot désolation.
Sorry. Navrée.
C'est-à-dire blessée. Comme Roland, expirant sous son chêne, Ulysse émergeant ruisselant et décrépi de la mer sur le rivage des Phéaciens.
Les amis meurent. Tutti muiono. Et moi avec eux. Les ennemis aussi.
Alors lire Stig Dagerman encore une fois. Pour la route.
Regarder le livre de Bolano posé près de la fenêtre qui semble sourire dans la lumière froide.
Les chiens romantiques.
Recopier pour quelques lecteurs des bribes. Se mettre debout en signe de colère.
Et le chat n'y comprend rien, le lit est toujours aussi doux. Le chauffage central fonctionne.


Il y avait beaucoup de joie triste dimanche à arpenter le quartier de la Joliette et du Vieux port à Marseille. J'étais très émue, très heureuse aussi de voir ma ville sourire. Bleue, évidemment et grise aussi car il pleuvait, un peu, ce qui est rare à Marseille. Entendre les marseillais, les voir, leur parler. C'était une réunion de famille, de la famille que je n'ai plus, n'ai peut-être jamais eu dans cette ville tant aimée, par ma mère d'abord, mon père aussi. Ville unique, la seule disait ma mère qui n'en savait pas tant que ça sur le sujet mais comme beaucoup de marseillais avait compris ce que représentait cette ville dont on dit aujourd'hui qu'elle est une ville-monde. Et de la voir croisée avec Gênes, Istanbul, Alexandrie, Tunis, Alger, tout se lie et se relie et les gamins qui parcouraient l'exposition du J1 semblaient tout à fait à leur place. Un peu d'illusion de temps en temps, un peu de joie, et de beauté comme voir la ville depuis le Fort St Jean. Et sans doute ce qui est en train de se passer n'est pas qu'illusion.

Mais dans la librairie du J1, bellement organisée, pas de livre de poésie alors que Marseille est ville de poètes: Suarès, les Cahiers du Sud, Malrieu, Artaud, Brauquier, Audisio, le Cipm, et tous ses poètes d'aujourd'hui!

A Marseille on ne vend pas de poésie!










vendredi 11 janvier 2013

L'étoile dans l'oursin



On récolte sur les plages bien des choses et voilà que j'ai ramené un drôle d'objet : une sorte d'os de seiche sur lequel sont gravés des poissons et une étoile parfaite à cinq branches.

Emotion. Comme devant la beauté d'une oeuvre d'artiste.

Souvenir des baleiniers sculptant les os de baleines.

Ce dessin si fin me fait rougir de honte: comment ai-je pu me
mettre à dessiner des étoiles alors que celle-là?

Et le matin triomphe à son tour à la fenêtre.



Alors?

Silence.


mercredi 9 janvier 2013

Herman en a les yeux salés...

Melville, Giono, Josse: la mer et le vent.
Boca d'inferno, Portugal

"...car il avait l'habitude de relever les pans du caban et de fourrer ses mais dans les poches de son pantalon. Ce qui est la vraie façon de se présenter dans les endroits marins du vaste univers, mais déforme sacrèment les cabans: enfin tout au moins leur donne un ton particulier. Oui, ce devait être un de ces voyous délicats. Ce cochon de vieux a fourré du camphre à toutes ces frusques. Il y avait cependant dans ce drap le souvenir du vent. Malgré le camphre, le vent est là. Herman en a les yeux salés..."
Pour Saluer Melville, Jean Giono

"Lui, le peureux, le minus au menton plat, l'arpenteur d'un monde mort, le pêcheur assis, tremblotant, sur un rocher à quelques mètres, avait songé que s'il devait un jour, dans une seconde vie, choisir de devenir autre, pourquoi pas décider de ressembler à ce type à palmes et à tuba qui, allongé, étiré, déployait ses membres avec volupté pour épouser et fendre la mer.."
Cloués au port, Jacques Josse

étang près de St Mitre Les Remparts

De si loin, la mer ici est à 50 kilomètres à vol d'oiseau, elle poisse tout de même l'herbe et la table.
Jusqu'aux étangs qui en deviennent des mers intérieures.
Et le sel ne les épargne pas. Ni les baleines rêveuses.


Vais-je devoir interrompre ces écritures matinales? La résidence est finie. Entends-tu, marin d'eau douce! Et en plus, ces histoires sont histoires d'hommes. Alors...J'ai rêvé de...

Menuiserie Guitton



lundi 7 janvier 2013

Exil est le nom secret du voyage

Il y a la langue.
Par exemple le portugais.
Langue aimée, langue maritime, langue de douleur et de chant.
Langue d'exilés et de colonisés.
Entendue avec délice dans le film Tabou de Miguel Gomes.

Une langue qui dit le pays où elle se parle, ses errances historiques, sa douleur coloniale, sa fierté aussi. Langue troublante, poétique et énigmatique.
Les images de Miguel Gomes montrent ce qu'est une langue sans patrie.
Une langue de la terre (africaine par exemple et alentejane), et de la mer aussi, de l'Océan terrible, ce "grand linceul" dont parle Melville dans Moby Dick. Une langue errante. A la fois ancrée et nomade.

Entendre le portugais (parlé au portugal) est pour moi une expérience forte, émouvante, comme si la mer et tout ce qui va avec la mer de rude et de masculin, mais aussi la surface des eaux et les fonds marins si féminins, me frappait comme une évidence, je ne serai jamais un marin, je ne serai jamais portugaise, je ne serai jamais Ismaël parti sur le Péquod. Et pourtant, malgré l'étrangeté de ce que je suis en train de dire (ou d'essayer de dire), je le suis -un peu.

Notre Dame du Verger

Comme l'artiste Carla Filipe, je veux faire des ex-votos.
Mais je ne suis pas une vraie artiste.
Et encore moins portugaise comme elle.
Mais ces gestes de salutation et de gratitude que sont les ex-votos me touchent beaucoup.
Comme dans la chapelle bretonne de Notre Dame du Verger, non loin de Cancale, ces peintures de bateaux épargnés par la tempête.

Comme Melville, je crois en la démocratie parce que j'ai vécu au contact de gens simples, et je sais aussi que le monde devient étrange plus le temps passe.

Comme Bolano, comme Melville, je crois à l'autre choix.
Faire l'autre choix peut être salutaire.
On me dira: mais de quoi parles-tu?
Entre apprendre le portugais et ne pas l'apprendre?
Entre s'embarquer sur la mer et ne pas le faire?

Bolano citant Huidobro:

Les quatre points cardinaux
sont trois
le sud et le nord

et il ajoute un peu plus loin:
..."nos quatre grands poètes sont Ercilla et Dario..."

Il y a toujours trois choix à faire: partir ou rester. Mathématique élémentaire!



Beaucoup meurent tout le temps




En attente.
Nous lisons.
Nous dormons.
Et recommençons.

Parfois nous faisons du feu.
Parfois le vent si fort, encore ce matin a pulsé contre la maison, les arbres.
A repoussé la joie.
Comme si rien, comme si tout.

Signaux éphémères.
On attend. On regarde du côté de la mer. Vers le sud, ici.
Au nord paysage délicat du Japon rêvé. L'or du soleil sur les branches et le ciel très clair.
On attend.

On lit la mort des gens.
Alain Suied est mort en 2008.
Godeleine, la soeur de Ludovic Degroote avait 18 ans
quand elle est morte en Angleterre
simplement brûlée vive
écrit son frère.
Beaucoup meurent tout le temps. Dans le journal on dit: en Inde et Loire un père tue ses deux enfants et lui.
Il y a une erreur.
C'est elle que je lis d'abord.
Idiote.
Je repense aux éléphantes tuberculeuses, aux éléphants morts le long d'une voie de chemin de fer en Inde, justement.
Idiote.

La France, ma patrie (?) s'agite.
En Chine aussi, des gens se réveillent.
Le sans patrie se laisse aller ce matin.
Pas de courage pour dire.
Alors lecture des journaux.

D'autres sont en Russie à caresser dans le sens du poil d'étranges animaux.
Je me suis réveillée bien trop tôt. Je n'ai pas trouvé le souffle qui donne vie aux mots.
Tourné et retourné dans les draps propres et doux mais sans tranquillité.
Même Vladivostock n'y pouvait rien.
Me suis demandée encore une fois quand ça allait s'arrêter.
Et aussi que mon sans patrie avait l'air aussi idiot que moi.
En attente, avais-je commencé.




samedi 5 janvier 2013

Armand Robin: "Par sympathie pour ces millions et millions de victimes, la langue russe devint ma langue natale."

sommes-nous d'ailleurs capables d'être ce que nous sommes,
nous qui n'avions qu'à peine commencé, et comment continuer
dans ce nous d'un je mal établi, d'un je qui se tue, je ne vois pas
à l'instant au nom de qui je pourrais parler d'un nous qui ferait
qu'un autre que moi serait pareil
Ludovic Degroote, Monologue, édition Champvallon

Parfois c'est facile de commencer.
Comme la pie sur la terrasse tout à l'heure, ça se pose, sur la page, là, simplement.
Comme elle, aux plumes brillantes, noires et vertes, la première phrase vient.
Et puis rien.
Et puis tout.
Akhamatova dans son poème La Muse :
"Puis, pendant toute une année, rien, non, rien."

Alors on lit, on rêve de Mongolie, de Portugal et surtout de Suisse.
(Christian Garcin y rencontre Robert Walser et l'artiste portuguaise Carla Filipe)
On se dit que c'est imbécile de rêver comme ça, des heures durant, la nuit, le jour.
On brode aussi.
On espère, c'est-à-dire on attend.
Les livres autour de soi font une douce forteresse: s'y croisent le Transsibérien avec Armand Robin, Blanès et Bolano avec Cadaquès. Bien d'autres lieux évidemment.  Bien d'autres poètes.
On retient son souffle.
Là-haut, en Bretagne, on se dit. La mer, oui, la mer. Comme celle que je connais au cap Creus ou à Marseille, depuis la calanque de Gignac. 
Et le granit et le calcaire, et le bleu comme le vert.


Se construit pour chacun/chacune une lande imaginaire (terre/patrie portative?) où poser ses pas de promeneur immobile.
Sans doute la force de la poésie, de la lecture aussi.
Impression d'enfiler des perles. Une idée: des bonzoms emperlés. Pourquoi pas?
Et Rotheneuf dont on me dit que je pourrais y accéder par la mer.
Amour des singeries? des pitreries? L'abbé Fourré faisait ce qu'il pouvait pour repousser le plus loin possible la disparition. Et pourtant avait dieu sur l'épaule. Du moins le croyait-on, du moins, le croyait-il, qui sait?
Dans le très beau livre de Degroote, ce qui frappe, c'est l'impuissance à dire la douleur, la faiblesse de l'humain et pourtant l'émotion, la vie sont là avec cette lancinante question de la disparition. Ludovic Degroote dit cette impuissance et elle seule est juste. Nous sommes vivants et nous lisons la mort. Et le scandale de cette mort, ici la soeur du poète, rien ne peut l'effacer. Ni nous en consoler.

On retrouve Rilke et sa question qui n'en est pas une :
"Qu'est-ce qui me serait plus inutile à la fin qu'une vie consolée?"
Mais nous restent la violence de vivre, la violence du monde, la vigueur des forêts et de la mer.
Et nous, silencieux et fragiles.
Mais pas toujours.
Alors sur la table ou sur le lit, nous accompagnent Armand Robin, Ludovic Degroote, James Sacré, Christian Garcin et quelques autres comme l'ami Robert Walser. "Ami de tous les vivants", disait Mandelstam.

(D'Armand Robin, lire entre autres la poésie bien entendu (nrf Gallimard), mais aussi La fausse parole Gallimard et ensuite le Temps qu'il fait ed.)





jeudi 3 janvier 2013

Le dernier détective sauvage: Dino Campana

La nuit a été traversée par un vent violent dont on nous annonce qu'il soufflera à cent à l'heure dès ce soir. Vent détesté, vent adoré.
Prétexte tout trouvé pour ne pas sortir et rester derrière la fenêtre, dans la pièce inondée de lumière.
Vent violent, bruyant, insupportable.
Rien à voir cependant avec le cyclone de La Réunion qui a failli emporter l'ami Belleveaux.

Il y a des nostalgies de toute sorte.
Celle qui me ramène vers Cancale, la couleur de la mer et celle des huîtres, là-bas sur cette plage écartée, blanche de coquilles jetées par des consommateurs gourmands et pressés.
Il y  a la nostalgie de ce qu'on ignore et qu'on ignorera toujours , par exemple ce que ça fait d'être né en Bretagne, au Chili ou au Portugal. On ne le saura jamais.
On dira: tu es née quelque part, pourtant! Et Marseille n'est pas n'importe quelle ville. Marseille bleue et dorée, tout de même!
Ma nostalgie se nourrit d'une Marseille invisible à ses habitants et à moi-même.
Et dans nostalgie, je retrouve tout naturellement Algérie.
Encore une fois nostalgie marine.
Et Bolano: quand saurai-je faire une tilde sur son nom? Mémoire trouée.
Face aux plus jeunes parfois, on se dit, c'est fini, et à sentir ainsi quelques noms s'envoler au moment où on voulait les nommer, on se tait. On laisse place. Et puis s'enflamme à nouveau le vent, et à sa suite, le désir de dévorer une fois encore le monde et ses pages. Pas seulement le journal!
Un peu de colère d'ailleurs à voir célébrer toujours une certaine forme de réussite, un certain type de gens. Mais qu'importe, ce matin, c'est Bolano qui revient. Je lis ce texte, ma fatigue devient joyeuse.

DINO CAMPANA RÉVISE SA BIOGRAPHIE
DANS L'ASILE D'ALIÉNÉS DE CASTELPULCI

J'étais doué pour la chimie, la chimie pure.
Mais j'ai préféré être un vagabond.
J'ai vu l'amour de ma mère dans les tempêtes de la planète.
J'ai vu des yeux sans corps, des yeux sans poids orbitant autour de mon lit.
On disait que dans ma tête ça ne tournait pas rond.
J'ai pris des trains et des bateaux, j'ai parcouru la terre des justes
aux heures les plus matinales et avec les gens les plus humbles:
des Gitans ou des forains.
Je me réveillais tôt ou je ne dormais pas.
(...)

A poursuivre dans Les chiens romantiques, Bourgois éditeur.

Grâce à Bolano, je suis allée à Blanès où personne ne va, à part son ombre neigeuse.


Et je suis devenue, un temps, le dernier détective sauvage de Bretagne.


mercredi 2 janvier 2013

Belleveaux au coeur du cyclone et l'année qui commence

Voilà que de si loin c'est la lecture des nouvelles qui me rapproche de Rennes.
Et du poème.
Je n'arrive pas à cesser d'écrire sur ce blog.
Et depuis quelque temps ce sont surtout de courts poèmes, presque parlés, presque dits.
Des poèmes venus droit des journaux et des lettres d'amis.
C'est comme Belleveaux devant le cyclone, là-bas, que je ne peux oublier, à la fois parce que nous nous connaissons, parce qu'il était lui aussi résident à la Maison de la Poésie et puis que je suis allée en février 2012 à St Denis de la Réunion et y ai découvert une France hors les murs, une patrie lointaine qui m'a enchantée.

Jean-Christophe Belleveaux, poète au coeur du cyclone, on ne peut pas l'oublier ce matin.
Mais aussi la Suisse et son tueur du Valais, comme les éléphantes et les étoiles qui s'embrassent, et les voitures qui s'embrasent.
Craintes, inquiétudes mais aussi espoirs: l'Inde?
Tout ça pour dire rien de neuf et tout de nouveau.
Antoine Emaz déjà. Et comment écrire mieux ce sentiment de répétition et de nouveauté que nous donnent les journaux, les radios que ce qu'il a fait dans ses livres?
Et aussi ce sentiment pénible de butiner sans se poser, trop souvent notre manière d'exister.
Le poème est dans ces moments rocher, fil à plomb, amarre dans le sable de la barque mentale.
La Bretagne, La Réunion, le Cap Creus sont des lieux que la mer traverse.
En ce sens ils réunissent ceux qui comme Jacques Josse dont je lis avec passion Le veilleur des brumes ont le soufle salé de la mer dans leurs poumons et leur mémoire.
La baleine blanche peut porter des noms multiples et elle peut être au gré des traductions féminine ou masculine: elle reste le rêve éveillé du sans patrie parce qu'elle se révèle sans contours définis et comme la mer sans limite.
Ce qui compte, c'est qu'elle existe, comme ce mot éléphante que l'ordinateur s'obstine à souligner en rouge!
Mon fil est décousu comme sur les bonzoms semés à Rennes et qui se montreront en mars pour le printemps des poètes dans leurs nouveaux habits...
Blanc, rouge et parfois bleu comme peut être la mer, certains matins, dans la baie de Cancale.
C'est une année qui commence!


des nouvelles des éléphants et d'Abidjan


Six éléphants meurent dans un accident

un accident avec un train en Inde

pas ici ni à Rennes ni même en Mongolie

on ne sait pas si tous étaient masculins

si parmi eux des éléphants au féminin

en tout cas six cadavres au bord du remblai

à la peau grise de vieilles dames fatiguées

et plus loin c'étaient des gens

certains peau douce d'enfants d'autres on ne dit rien

dans le journal ils sont portés disparus

pour regarder l'année nouvelle dans les yeux

sous un déluge de feux d'artifice et de cris

certains sont morts écrasés piétinés

mais pas par des éléphants

sur les images on voit des chaussures perdues

comme les chaussettes célibataires

après la lessive

mais là définitivement égarées

ça se passait à Abidjan pas à Boulbon

ni à Rennes on ne sait pas très bien quoi faire

avec ça mais ça reste c'est là dans un coin

de la mémoire en miettes oui ça reste

et on dit dans le journal

que tout s'oublie aussi

comme le reste