Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

vendredi 2 novembre 2012

Cueillette des olives avec Noé, rue Paradis et un épi doré sur un cheval noir

" Mais savez-vous quel est le plus mauvais  tour qu'on puisse jouer à une tête? C'est de l'embarrasser avec des merveilles."
Pour saluer Melville.

D'abord un souvenir.
Le froid de novembre, les mains engourdies, Jean le Bleu racontant l'olivette.
Enfin Noé: "C'est ainsi que je suis arrivé à temps pour surveiller mes olives, les voir mûrir, enfin, les cueillir (les ramasser et apprendre l'avarice) au cours de journées glaciales."
Puis Ulysse, Melville, Giono enfin.
Moby Dick qu'il traduisit.
Qu'il salua à sa manière en disant son amour caché. Adelina White, Blanche Meyer.
Je découvre que le désir était là, caché mais pas tant que ça, il suffit d'ouvrir l'oeil et Giono devient Angelo et s'aventure loin de cette joie simple dont il nous a parfois rebattu les oreilles. Alors la tête tourne et les merveilles sont là.
Des olives à l'amour il n'y a qu'un pas.
D'autant que le soleil de novembre est doux et doré.

"C'est une ombre.
 Et j'entends voleter, à travers le feuillage de l'olivier dans lequel je ramasse des olives, d'autres ombres, attirées par mon avarice toute fraîche..."

Autre souvenir, il y a des années, la cueillette des olives à St Gabriel, ma première cueillette en sauvage. Oliviers bordant la chapelle romane et laissés à l'abandon. Ce fut la première tentative de jouer la provence, de tenter l'origine. Quelques bocaux où ont macéré des olives ramassées en plein mistral.

olives sur le filet

N'avais-je pas entendu depuis l'enfance les exploits de ma grand-mère marseillaise, grande spécialiste des olives vertes cassées? Ne m'avait-on pas élevée dans le culte d'un nom talisman dans lequel se retrouvait toute l'histoire familiale? A Lorgues, nous avions des oliviers, des figuiers, des néfliers: un paradis, disait ma mère. Nous avions une campagne comme disent les marseillais. Rien à voir avec le cabanon. Une ferme plutôt, avec un puits, des vergers et une oliveraie. Car l'oliveraie représente le paradis de tout vrai méditerranéen. Si ce paradis descend vers la mer, alors vraiment tout est réuni pour le bonheur. Ce n'était pas le cas, mais le bonheur était à portée de main.

Lorgues a été vendu par mon grand-père. Il vivait et travaillait à Marseille. Ce n'était pas facile de surveiller les fermiers qui nous volaient, disait-il.
Mais ce paradis d'enfance aura empêché ma mère toute sa vie de goûter tous les autres paradis. Est-ce un hasard si je suis née dans une rue qui porte ce nom, rue maudite à Marseille entre toutes parce que s'y trouvaient le siège de la Gestapo et la clinique où je suis née? Rue Paradis, que de mauvais souvenirs, s'exclamait-elle. Elle y englobait le supplice de la baignoire et celui de ma naissance. Peut-être aussi celui de mon baptême qui eut lieu dans une église de cette rue.

J'ignore pourquoi la naissance et la cueillette des olives se relient, comme si l'une menait à l'autre, comme si Marseille conduisait d'un pas tranquille vers une oliveraie.

Je suis revenue à Boulbon au moment de la cueillette des olives. Nos voisins ont commencé hier et nous les avons rejoints aujourd'hui pour cueillir nos trois oliviers, les autres trop jeunes ne donnant pas encore de fruits. Outre le plaisir de travailler ensemble, il y a le plaisir de sentir sur ses mains la douceur des fruits. Et je m'étonne que la citadine que je suis depuis l'enfance retrouve avec tant de joie les gestes du cueilleur. En Tunisie on arme ses doigts de griffes en plastique (fabriquées en Chine). Autrefois c'étaient des cornes de chèvre. Ainsi on ratisse les branches et la cueillette est plus rapide.

Pour nous il s'agit de tout autre chose puisque nous ne travaillons que sur quelques arbres et surtout, nous ne récoltons que pour notre usage et notre plaisir. Pourtant ces kilos d'olives ramassées seront transformées en litres d'huile et ce bonheur parle lui aussi du poème.


Il en parle simplement, comme une caisse d'olives à mes pieds, dans une sorte de joie enfantine. Celle de savoir (un peu) ce qu'il en est de la transformation du monde. A une toute petite échelle, mes voisins et moi vivons le temps de ce passage, loin des autres mondes, dans une euphorie contagieuse. Rien d'autre que nos mains dans les olives, à les caresser, les soupeser, les imaginer devenir fluides et tendres. Nous avons en commun ce matin un présent, une expérience, qui pourraient nous faire croire à une utopie. Mais la rue Paradis est là pour me rappeler à l'oreille ce qu'il en est. Néanmoins nous avons cueilli 30 à 40 Kgs. Rien ne peut venir à l'encontre de ce simple fait. Pour une fille comme moi qui doute de tout et du reste, c'est bien de savoir que ces olives vont devenir de la belle huile et que les tomates vertes ramassées ont été transformées par mes soins en chutney. Il s'agit de poésie en acte! Un peu de savoir a permis une petite transformation du monde. Le jardin s'est fait toscan le temps de la cueillette.
Cyprès et micoucoulier
Rue Paradis où rêve encore la vieille Pauline de Théus.
Entre tendres et cruelles ombres du passé.





1 commentaire:

  1. extrêmement touchée par ce billet, cette évocation -fluide aussi- de cette rue d'un paradis pavé de mauvaises hantises, ces olives, le geste du cueilleur, que j'ai retrouvé aussi avec nos pommiers, avec nos buissons à baies, cette phrase certainement : "Rien ne peut venir à l'encontre de ce simple fait. Pour une fille comme moi qui doute de tout et du reste, c'est bien de savoir que ces olives vont devenir de la belle huile et que les tomates vertes ramassées ont été transformées par mes soins en chutney. Il s'agit de poésie en acte! Un peu de savoir a permis une petite transformation du monde." Sans doute est-ce la prescience que le jardin n'est que l'émanation de nous-mêmes, il se transforme à la mesure de ce que nous sommes capables de nous transformer, de nous transmuer de nos naissances incertaines à nos choix de voyages entrepris pour une récolte entre voisins.

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