Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mercredi 31 octobre 2012

Toujours à deux chercher dans le noir commencement

Les yeux du menhir

entre de mue
à suivre si tu cours vite 
parfois lorsque je change de corps
je ne t'entends plus
mutation délicate et toujours en retrait
parle plus fort
j'ai les cordons qui lâchent 
ou écris en silence
cordes vocales soudées comme une souche de bois mort
comme tu vois la route
des petits points partout
avec les gros yeux de la nuit
peut-être des étoiles, mais j'insiste: peut-être...
le cerf entre onze heures et minuit
et le fennec a l'aube !

Encore une écriture à deux, une traversée de deux voix,
Edith en bleu, Sylvie (formifolle) en noir, pour chercher ensemble un commencement à la journée.
Cerf et fennec, en rébellion pour que du choc de deux mots, de deux pierres, de deux lettres, naisse le langage.

Les pierres sont à l'origine de la parole, pense Luigi Lineri. Il n'y a qu'à considérer de près la Bretagne.
Le menhir du Champ Dolent par exemple, à quoi sert-il si ce n'est à nous faire nous ressouvenir de ce mot, dolent et de la ville proche de Dol de Bretagne? Du pré et de la pierre vient le mot.
Du heurt des cuirasses comme de celui de deux pierres entrechoquées.
Et le champ ensanglanté accueille le menhir comme nous le mot dolent.
Avec étonnement.



Voici le travail patient et obstiné de Luigi Lineri: toute une vie à ramasser des signes dans la rivière Adige et ensuite composer une bibliothèque qui dise la langue. Il y a sur le site de la Halle St Pierre plusieurs films passionnants sur les artistes exposés dont un sur Luigi Lineri.
http://www.hallesaintpierre.org

Ainsi se constitue pour la formifolle petit poucet un alphabet où puiser de quoi nourrir les loups et les renards d'édith et sylvie :

alice,
ardillon,
archidumachin,
bronche,
cocotte minute,
cuisine,
cuisse de nymphe émue,
décombre,
dolent,
fennec
heimatlos,
jardin (ouvrier),
languivore,
lessive,
machin,
menhir,
mort,
mue,
parc,
patatras,
pierre,
renard,
traversée,
truc,
et ainsi de suite.




mardi 30 octobre 2012

La traversée du paysage, de Rennes à Avignon

Je n'ai pas bien mesuré ce que j'ai traversé en quittant Rennes pour rejoindre Paris puis Avignon. On roule vite sur une autoroute. Je me disais: est-ce là de quoi alimenter la patrie portative dont tu ne cesses de rêver?
Quand tu es dans une auto, la durée du voyage et la distance sont confondus.
C'est la meilleure manière d'écrire. Sauf qu'on ne peut pas, écrire, dans une auto.
Il y avait de chaque côté de la route de la campagne, des paysages que je n'avais jamais traversés. Il y avait aussi dans ces maisons et ces forêts, des gens. Ces gens parlaient entre eux ou seuls, et utilisaient des mots pour se faire entendre. Même seuls, il leur arrivait de chanter ou de parler. Peut-être pour vaincre la peur que l'on a en traversant.
La forêt, la rue, sa famille.

On en revient toujours au même endroit : la langue.
Car il s'agit bien de cet étrange petit mot, traverser.
Traverser sa langue.

A Marseille, une traverse est une ruelle, petite, qui permet de couper, d'aller plus vite son chemin.
Ce n'est pas une impasse. Dans mon quartier, là où j'ai vécu enfant, à St Jérôme, il y avait, il y a toujours sans doute, la Traverse des Polytres. Nous y venions, ma mère et moi, depuis les achélèmes où nous habitions pour nous rendre chez la couturière italienne, madame Rossellini. Chez elle, je lisais en cachette le Corriere della sera, sentant bien, rien qu'à voir les couvertures, qu'il y avait  là quelque chose à ne pas regarder. Accidents dramatiques, assassinats, catastrophes en tous genres étaient à la une. Je m'en délectais en sachant combien ma mère désapprouvait ce genre de lecture.

Et puis il y a aussi travers. Sorte de défauts. Marcher de travers, mauvaise route, mauvaise manière.

Et traversée. Mot plus tendre et positif que le précédent.

J'ai lu pendant le trajet Paris-Avignon, passant de la lumière à l'obscurité, un étrange petit roman de Boris Schreiber, La traversée du dimanche, roman qui lui a valu de recevoir le prix Sainte-Beuve en 1987. Ce récit a ramené à la surface la question du devoir certes, mais surtout la question du point de vue. Ici il s'agissait du narrateur, Béator, vieil enfant quinquagénaire dont l'unique préoccupation en ce dimanche, est de savoir s'il ira ou non voir sa mère à l'asile. Il s'agit non seulement de traverser la ville mais aussi la journée et surtout un empêchement intérieur. Personnage trouble et antipathique qui parle de lui en disant nous et dans lequel pourtant on peut se reconnaître.

"Il nous faut sortir. Nous rangerons tiroirs et vêtements à notre retour. Sortir, nous mettre en route. Sans avoir brisé le cercle. Apparaître toujours pitoyable aux yeux de notre maman? (Une si longue absence, et toujours pitoyable?) D'autre part, apparaître sous un jour autre, c'est-à-dire délivré devant notre maman, sans un cadeau pour son anniversaire, ne serait-ce pas la preuve que notre délivrance est impuissante? Lui crier notre délivrance sans le moindre cadeau, impensable. Et lui tendre un cadeau en doutant de notre délivrance, impossible."


Et j'en reviens à ce mot de traversée qui est un des mots de mon dictionnaire de résidente à la villa Beauséjour car il est question de traverser une ville, le temps, le territoire aussi, depuis Rennes jusqu'à Brest, le silence de la maison de la poésie la nuit, la langue, les textes, l'écriture que ce soit seule ou en compagnie, traverser pour revenir. Traversée de la mer, de l'océan, des terres bretonnes. Et là ce soir, la maison. Je note très vite pour ne pas oublier: acheter Théorie des maisons, éditions Verdier. Et je me souviens qu'hier soir j'ai traversé la maison pour la retrouver en me demandant ce que devenait l'autre, ma maison portative, ma maison de résidente, là-bas, à l'ouest.

Traverse de la Poésie, rue Armand Rébillon.

Un peu plus loin, un peu plus tard, je découvre que les achélèmes de mon enfance ne s'appellent plus comme ça. Sur google maps, je découvre leur nouveau nom: Résidences Les Tilleuls. Tout a changé. Avec un mot qui n'a pas le même sens que celui que j'emploie pour expliquer (ou tenter) ce que je suis à Rennes, une résidente.

Un autre mot pour mon dictionnaire!


lundi 29 octobre 2012

L'ardillon de Nannetti ou comment un détail devient essentiel

Depuis Daniel Arasse (et sans doute avant lui), le détail a pris toute son importance en art.
Ici c'est d'abord un mot, assez rare, qui désigne un objet bien connu de nous tous: la partie pointue d'une boucle dont mon ami l'écrivain Marco Ercolani croyait qu'elle était celle d'une ceinture. En fait, il s'agissait de l'ardillon appartenant à la boucle d'un gilet.  Celui d'Oreste Nannetti.
Ardillon d'écriture, ardillon stylet dont se servit pendant des années un homme interné dans l'hôpital psychiatrique de Volterra.
Ardillon dit l'ardeur mais aussi la difficulté, combien il fut ardu de tracer des lettres dans le crépi de Volterra.
Ardillon (raidillon durillon). Chaîne impossible.
Dans ardillon, il y aussi le mot art.
"L'art, c'est l'aventure d'être en vie", cette courte phrase d'Henri Michaux s'applique à tous les artistes et à Nannetti, comme à Soutine.

 Oreste Nannetti a rédigé à l'aide de cet ardillon ( renouvelé plusieurs fois, à cause de la dureté de l'enduit qui recouvrait les mur) un journal intime en rendant à peu près illisible son écriture et en réinventant le boustrophédon. Voir définition au bas de l'article.

Dans les débuts de la psychiatrie, les auteurs de dessins, gravures et textes faits dans le cadre asilaire étaient soient référencés comme des cas, soit avec leurs initiales, soit leurs prénoms. Il aura fallu attendre la fin des années 90 pour obtenir qu'ils soient nommés par leurs noms et prénoms. En tant que personnes.
J'étais ce ouiquinde à Paris à la Halle St Pierre pour écouter et voir. Ecouter parler de l'art sous sa forme populaire, brute, sacrée, sous sa forme élémentaire et urgente. Et voir le travail d'Oreste Nannetti sur les murs de son asile,  contournant les malades catatoniques installés sur un banc pour ne plus en bouger, et délicatement inscrivant son écriture autour de leurs silhouettes tout en poursuivant inlassablement son entreprise, reconstituant un gigantesque journal aux pages clairement dessinées et dans lesquelles s'écrivait jour après jour son inquiétude. Celle de la nourriture par exemple. Ce journal illisible et fragile, sorte de royaume instable, Nannetti l'a patiemment construit, comme Robert Walser l'a fait pour un de ses romans, justement appelé Le Brigand, en usant de microgrammes, cette écriture invisible au crayon gris qui a finalement été déchiffrée longtemps après sa mort. Scriptions. 
L'écrivain comme l'artiste est celui qui reste lié. Et qui relie le fil de sa propre existence à celle des autres pour créer/recréer une origine et donner forme à ce que j'appellerai la patrie portative.
Cet ardillon, beaucoup (voir par exemple le site très intéressant d'Animula vagula) croient que c'était celui de la boucle d'une ceinture. En quoi ce détail a-t-il une importance pour celui ou celle qui regarde les incisions d'Oreste Nannetti? Je crois pouvoir répondre qu'on ne lui aurait pas laissé une ceinture. Tandis qu'un gilet, oui. Moins dangereux. Sans doute. Voilà comment on peut développer dans des conditions extrêmes une stratégie imprévue. Voir par exemple, Podestà qui inventa un mélange mêlant plâtre, colle et sciure pour fabriquer ses oeuvres dont un fétiche que posséda Tinguely et qui a pour titre: la cure d'amaigrissement!

Ce qui frappe dans les différentes oeuvres montrées dans l'exposition de la Halle st Pierre, Banditi dell'arte, c'est que tout est bon à celui qui a besoin de créer son monde en résistance contre celui de l'enfermement (qu'il soit asilaire ou intérieur). Poteries pour des prisonniers, fils de serpillière pour tisser un habit de force pour un interné, os de boeuf, mélange à la Podestà, tout fait l'affaire comme dit la langue, dans l'urgence et le dénuement.

sculptures de Buffo
Faire de rien un monde. Faire monde.
C'est ce qui nous vient en regardant les personnages de Buffo, leur simplicité puissante et tranquille, presque tendre. Objets de bois et de ciment qu'il fabriqua quand il fut à la retraite, lui, le vieux maçon italien, installés dans son jardin, et qu'à sa mort, on voulait brûler comme fatras bon au feu. Cette humanité profonde que donnent à voir, non seulement le travail de Buffo dans sa modestie, mais aussi les autres artistes présents dans l'exposition, évidemment nous touche et nous rappelle ce que nous sommes, mais sans arrogance. " Ami, sois respectueux de la vie", disait Buffo à ses visiteurs.

Dans une intervention d'une chercheuse palermitaine, j'ai retrouvé Judith Scott, cette artiste mongolienne, bizarrement présente à l'exposition de Rennes, Newway Mabilais. J'ai appris aussi que Judith Scott avait une soeur jumelle et que son usage du fil ( pensons à Ariane, mais aussi Pénélope ou Arachné)  rappelait cette nécessité de lier, relier et aussi parfois délier que l'on retrouve dans le travail de beaucoup d'artistes, à la fois singuliers et contemporains, une momification infinie, un besoin de mettre ensemble ce qui est séparé, comme le belge Pascal Tassin.
oeuvre de J.Scott in catalogue des Prairies


Et Soutine dans tout ça?
La couleur, la signature rouge sur le tableau.
La fureur muette.
La colline de Céret.
L'arbre dans le vent.
Les enfants qui rentrent de l'école après l'orage.
Comme toujours étonnement devant l'énergique peinture de Soutine, si éloignée de toute tentative de séduction.
Et aussi déception de ne pas retrouver les arbres du musée de Céret, l'Idiot du musée Calvet d'Avignon.
Mais je sais que la déception provient surtout de mon impuissance à rester dans et devant le tableau. Il faut repartir, s'éloigner, traverser les Tuileries, repartir. Se souvenir qu'une seule lettre peut suffire pour exprimer la rébellion: S comme Soutine.



On qualifie de boustrophédon le tracé d'un système d'écriture qui change alternativement de sens ligne après ligne, à la manière du bœuf marquant les sillons dans les champs, de droite à gauche puis de gauche à droite.


vendredi 26 octobre 2012

Ce rouge qui brillait/SOUTINE

Quel est votre peintre préféré? ont demandé hier les élèves d'Anne.

J'aurais pu expliquer que j'en ai plusieurs et donner quelques noms dont ceux de Rembrandt et Monticcelli.



Soutine, portrait

Parler de mon père encore une fois. Franzosiche Malerei. Mon père, le voyageur de peinture.

SOUTINE.

Lire trois lignes de ce livre publié par l'Atelier du Hanneton.

Mais non.

Seul ce nom et aussitôt le rouge revient, et Céret, et les platanes de Céret, et l'idiot du musée Calvet à Avignon.

Aujourd'hui nous partons à Paris voir l'exposition SOUTINE, à l'Orangerie. Métro Concorde.

Dimanche, alors que l'hiver aura modifié heure et température, je rejoindrai l'Italie à la Halle St Pierre et mes amis, Gustavo Giacosa, commissaire de l'exposition Banditi dell'arte et Marco Ercolani et Lucetta Frisa, écrivain et poète.
Giovanni Bosco

Ensuite longue coulée en TGV vers le Sud.

Puis retour à Rennes.
Palissade rue St Melaine


Cuisse de nymphe émue au Thabor


tu dansais en plein milieu du lac 
tu riais tant elle était belle cette fille 
ce souffle en toi les arbres  
.
Nous avons mis le canot à l'eau dans la nuit puissante. Nous passerions une autre belle journée ensemble au cœur de ton monde.


Cet extrait du semenoir de Maryse Hache pour mémoire. Depuis ce matin, obsédants, les mots cuisse de nymphe émue. Je suis allée regarder ce que dit Wikipédia à propos de cette étonnante expression. Wikipédia, ça n'étonnera personne sauf moi,  privilégie l'explication informatique. Cuisse de nymphe émue, est-il expliqué dans l'article, est une couleur qui, sous le nom de hot pink fait partie des couleurs nommées pour certains systèmes informatiques. En HTML, on peut utiliser la valeur pour l'attribut color. Wikipedia mentionne tout de même que le nom vient d'une variété de roses anciennes, Rosa Alba.

On comprendra que je préfère les roses, celles qu'aimait Maryse Hache.
Alors je suis partie au Thabor. Depuis plusieurs jours j'envisageais l'aventure en espérant le soleil. Un goéland m'y attendait. 



A la recherche des roses de la variété cuisse de nymphe. J'avais vu sur le plan qu'il existait un carré de rosiers anciens. 
Le matin, j'avais appris la mort de Maryse Hache. Poète et jardinière. Pour des raisons obscures,  si je l'ai lue, en particulier sur le blog de remue.net, je ne l'ai jamais entendue, et pourtant, j'aurais pu au marché de la Poésie la croiser et aller le soir l'écouter mais la hâte de rentrer me pressait. Comme si l'urgence venait de fuir Paris. Comme souvent. 

Le Thabor est un mont sacré en Israël et à Rennes, c'est un vaste parc magnifiquement ordonné et entretenu. Une sorte de Mont Analogue, c'était d'ailleurs le titre d'une exposition de photos que j'ai vue dans l'Orangerie. Et c'est le titre d'un livre de René Daumal. Mont Thabor comme Mont Analogue.
Les montagnes sont sauvages. Elles sont parfois désertes et pleines de rochers et de forêts. On s'y fraie un chemin avec difficulté. 
Mais ici aucune sauvagerie. Si ce n'est peut-être la taille prodigieuse de certains chênes et cèdres. Tout est policé et bien agencé. Un lieu de promenade et de découverte botanique.
Voilà qu'étant au Thabor, je suis à la recherche du rosier Cuisse de nymphe émue. Le jardinier à qui je pose la  question reste un peu dubitatif: il y a tant de rosiers ici, sagement étiquetés, bien alignés. Il me désigne les jolies allées. Rosiers pour des rois et rosiers pour des reines, pour des champions et des actrices. Pas de rosier Louis Guilloux dont je ramène de la place Ste Anne La confrontation. Pas de rosier Georges Perros non plus.
Il y a des rosiers Botticelli, Bagatelle, Carla, Caroline, Marylin, etc...Aucun rosier ne porte le nom d'un poète, pas plus mort que vif. Tout de même je découvre que Delbard en a créé un pour Barbara.

Quelques-uns portent de drôles de noms: Eclipse, Paix, Amour. Pas de rosier cuisse de nymphe émue. Il va falloir venir en planter un, en cachette et lui mettre une petite pancarte verte: rosier M.H. Ni vu ni connu. J'ai vu dans le jardin de la villa Beauséjour qu'il y avait de ces pancartes dont usent les jardiniers. Il faudra que j'en parle à Lionel. Nous pourrions à défaut du Thabor en planter un ici. Un rosier Cuisse de Nymphe émue. Avec les initiales qui parlent d'une femme poète.


Dans le parc, j'ai croisé un étrange enfant qui m'a dévisagé en me faisant des grimaces tandis que sa mère, derrière lui, en faisait également, mais pas à moi adressées, peut-être à lui, peut-être au mauvais sort qui accompagnait leur promenade. Il y avait aussi un drôle de bonhomme qui courait comme si ses bras étaient ses jambes et ses jambes, ses bras. Et un garçon planté sous un arbre gigantesque, la tête renversée pour mieux voir jusqu'où allait le sommet. A mon tour, je me suis glissée à l'intérieur d'un arbre doré pour y respirer l'odeur de la terre et des feuilles, l'odeur de l'automne. Pour moi odeur de vie.
Malgré les chrysanthèmes qui hantent déjà les boutiques des fleuristes en l'honneur des morts de la Toussaint. Ceux que j'ai plantés dans le jardin, chez moi, seront en fleur quand j'arriverai mardi.



Bientôt un an que ma mère. Bientôt ce sera l'anniversaire de la petite Anna. Bientôt un rosier sera planté.




jeudi 25 octobre 2012

Edith Azam et l'heimatlos



Mon heimatlos a plusieurs visages et parfois il rit et parfois il pleure. 

Parfois il azame et parfois s'il vit, on peut lire:

apatride les quinze poètes
étranger les quinze les mille
sans patrie les milliers de poètes avec ou
SANS livres, avec ou sans voix, mais
heimatlos dans leur chair, dans leur souffle
quincaillerie de patrie cache coeur crève misère
aéroports de papier des tentatives d'envols
patries portatives de longs crashs en plein ciel
SANS rien d'autre qu'eux mêmes

devenir piéton de l'air devenir ce qu'on peut
après jésus marchant devenir ce qu'on est
sur la mer être qui la tangue

rester modeste ne pas parler
ne pas en faire trop ne pas parler
écouter sa mère et lui parler

j'ai vu le mont Dol devenir le monde
le menhir du Champ Dolent ouvrir tout  l'espace
et Dol de Bretagne l'univers sans nom

que faire c'est si petit de toute cette douleur si petit
doulou doulou disait daudet
qui pleurait son malheur si trop petit
lui restait plus qu'à prier plutôt mourir 

En vert Edith Azamen noir SD.



Voilà ce que nous voulons dire dès que nous ouvrons la journée.
Ou le journal. Nous voulons que ça commence enfin. Jamais que ça finisse, même la nuit. Ce matin, à Cleunay, Adriano m'a donné deux mots. Il les a écrits sur un bout de papier déchiré et me les a tendus, c'est pour vous, et je les ai emportés avec moi. Je les ai regardés. Ils ne parlaient pas comme moi, ces deux mots. Naissance d'un voyage.

Les autres mots, tous, et il y en avait beaucoup, nous les avons laissés sur les tables, en classe, pour qu'ils continuent à grandir. Et nous sommes sortis dans le gris.
Essayant d'écrire nos pas en noir pour faire des mots entiers et construire un poème.
De retour ici, nous avons vu qu'on avait enlevé les barricades qui empêchaient de courir dans les décombres de la menuiserie. 
Demain il y aura sans doute des machines pour emporter les gravats. Alors le soleil peut-être reviendra mais je n'en suis pas sûre.
Je suis revenue travailler  à Beauséjour et j'ai découvert que le mot Pentateuque désignait à la fois l'Ancien Testament et aussi une division médicale savante des différentes maladies. On peut par exemple s'amuser à mettre en relation la Genèse, premier livre du Pentateuque qui en comporte cinq comme son nom l'indique, avec la première division des cinq maladies (appelée aussi pentateuque) les plaies, l'Exode avec les ulcères. C'est une découverte un peu étrange.
Il y en a de plus heureuses comme le mot quinconce donné par l'ami Patrick Bléron sur son blog et qui renvoie au jardin clos, celui des méditations claustrales mais aussi de la joie d'amour au verger. J'ai à mon tour dessiné un carré de 5 X 5 sur le carnet et y ai disposé des arbres et des fleurs comme dans le jardin du roi Salomon, lys blancs et grenadiers mais aussi cerisiers et pommiers. 
Puis je suis revenu à mon sans patrie, mon heimatlos.
En quoi ce jardin pourrait-il lui servir de patrie, de consolation?
Seulement des fragments, comme éclats de soleil sur le pré en pente. Et sur les mains fauves des faucheurs. Voir Gustave Roud qui en savait un bout à la fois sur les cerisiers, les prés et le paradis.
Et sans doute aussi sur la folie suisse.


A suivre, poursuivre, chasser, pourchasser.
Sans colère ni envie d'emprisonner. Juste ce désir. 
Que ça commence!

mercredi 24 octobre 2012

Quand je me quinze à vous le dire...

"Le nombre des machines à tuer le temps a tellement augmenté qu'on n'a plus le loisir d'ouvrir un livre..."écrivait M. Grasset dans les années 30.


Lexique menteur. Inflation/déflation. Marée haute/marée basse: la mer. Toujours recommencée.



La mer est arrivée dans le canal quartier St Martin
sans crier autrement
que dans le vol des mouettes énervées
et tout de suite
depuis le jardin
on entendait le lointain.
Alors j'ai démarré l'auto
pour aller à St Malo.

Avant moi, à Beauséjour,
 il y  a eu quatorze poètes.
Je suis donc le numéro quinze.
Je me quinze à vous le dire.

apatride
étranger
sans patrie
SANS
heimatlos
quincaillerie de patrie
aéroports de papier
patries portatives
SANS

devenir piéton de l'air
après jésus marchant
sur la mer

rester modeste
ne pas en faire trop
écouter sa mère

j'ai vu le mont Dol
le menhir du Champ Dolent
et Dol de Bretagne

que faire de toute cette douleur
doulou doulou disait daudet
qui pleurait son malheur
lui restait plus qu'à prier


ALMA MATER
TERRAE REGINA
REGINA MARIS
MARIS STELLA
STELLA COELI

AVE MARE NOSTRUM
ne pas oublier de dire merci

voilà j'écris en latin à cause que je connais pas le breton et que je veux écrire hic et nunc ici et maintenant en haut de la page du livre en breton que je vais écrire ici et maintenant et qui va m'aider je lui dis d'avance MERCI  je l'ai vu ce mot écrit dans la petite chapelle du Verger toute remplie d'ex votos et de mercis comme celui qui remerciait en écrivant Bonne mère comme à l'adresse de la Notre Dame de la Garde à Marseille et il y a avait de grands mercis et de plus petits sans doute selon qu'on était riche ou pas et qu'on pouvait payer cher la plaque de marbre où graver en doré les cinq lettres M E R C I

c'était mon voyage en solitaire de Combourg à Cancale jusqu'à la pointe du Groin aujourd'hui dans le bleu gris de la mer bretonne et pour mieux vous faire sentir l'air salin je ne mets pas de ponctuation à ma prose c'est comme ça qu'on devient breton avec un peu de patience et de beurre salé sûr je vais y arriver



 


mardi 23 octobre 2012

Fidel Castro apparaît vivant sur une photo

Tarasque en girouette quartier st Martin

Dépêche AFP en provenance de La Havane lue dans le Monde d'hier : M.Jaula (ex-vice président vénézuélien) a montré plusieurs clichés de M.Castro, souriant à bord d'un véhicule.

La phrase est étrange.
Elle a retenu mon attention tout de suite.
A travaillé comme on dit.
J'avais acheté le quotidien dans le quartier où nous étions venus avec Alexandre pour un entretien à la radio.
Ce fut un moment joyeux où la poésie avait sa place comme le sport ou la politique et c'était à la fois drôle et sensible, et ce grâce à Giuliana qui fait preuve d'un engagement joyeux et enthousiaste à l'égard de ses invités du matin. Elle nous a fait part d'une belle initiative des Tombées de la nuit : inviter des veilleurs matin et soir pour le lever et le coucher du soleil sur Rennes. Ainsi jusqu'en septembre 2013, des rennais vont se tenir durant une heure à veiller sur leur ville. Et je me suis demandée si ce n'était pas un peu mon travail ici, à Beauséjour, de veiller sur la maison de la Poésie et tous les poètes sur les rayonnages de la bibliothèque.
Intranquille veilleur.
Les échanges avec Edith Azam ne seraient-ils une forme de veille poétique?

C'était un matin enveloppé de brume qui me laissait espérer le soleil. D'ailleurs j'en ai profité pour vagabonder dans le quartier St Martin, armée (ou désarmée devant les destructions) de mon appareil nouveau. Découvrir les écritures des rues, pas seulement les informations et affiches de toute sorte.


Il y avait une atmosphère printanière et toujours cette phrase: Fidel Castro apparaît vivant sur une photo.
Qu'est-ce qui est vrai dans la langue employée ici? Qu'est-ce qui me retient de croire cette phrase juste?
Je me demande ce que les autres lecteurs du Monde, s'ils ont lu cette courte dépêche en bas de page 23,
ont compris. Ont-ils comme moi eu un sursaut? Comment lire cette nouvelle? On dira que je coupe les mots en quatre. Que je fais mon intéressante. Ma mère aurait dit: tu veux te faire remarquer, hein. Mais non, c'est l'incongruité de cette phrase qui m'a arrêtée. Comme si une photo était une preuve alors qu'aujourd'hui toute image peut être soupçonnée de manipulation. Bizarrement le journal ne donne aucune photo : dans la dépêche on apprend qu'il y a plusieurs photos et un véhicule. Un corbillard est un véhicule, non? Rien à voir, rien à montrer. Qu'une phrase un peu bizarre. Mais je suis peut-être la seule à la trouver bizarre.

Promenons-nous, dirait Robert Walser, cessons ce bavardage oiseux. Oui, c'est juste une promenade ce journal. Allons aux bois ou au canal et cherchons de quoi alimenter notre curiosité. Quelques cabrioles même. Tantale-Cancale, pourrions-nous risquer...

Et j'ai pris quelques photos moi aussi, mais aucun Fidel Castro vivant là dedans! Me baladant quartier Saint Martin, en pensant à JCB se promenant au Baril à Sainte Rose au milieu des cases colorées...Il y a aussi de la couleur ici et pas seulement le bleu des hortensias.
toute petite maison orange

toute petite maison bleue











Carnet de Bretagne commencé aujourd'hui grâce au soleil...




Carnet d'images pour accompagner les mots de la résidence, Bretagne bien sûr et patrie portative!

Sylvie & Edith


SYLVIE   (&)   EDITH
(durbec & azam)


tu poursuis et l'espace ne se divise pas et l'air aligne ses cellules
et personne n’oserait objecter quoi que ce soit devant un ensemble aussi grotesque caractéristique de tes vieilles lubies où le mot patrie illusion où le mot économie  despote où pire le mot sentiment illusion despotique comme si toi pouvais écrire un poème sur un sujet aussi sérieux ou comme si un poème t'écrivait sérieusement toi  un traité plutôt de tous les noms et ça n'aurait pas le moindre impact sur la configuration du vide ça n’aurait pas le moindre intérêt d’associer la dette à l’emprunt de mots tels que pain bouche café le matin et autres  par exemple le feu fourmillant une suie noire à cause d’un lien entre l’amour donné et celui prêté à l’autre, objet prêté à perte parce que pain café bouche tous les jours on les mange on les remet sur la table chaque jour on remet le langage sur la table

et personne pour dire non

encre noire: SD
encre bleue: EA


Voilà une nouvelle aventure après la lessive et les décombres: la construction d'un petit édifice mi-paille mi-mots dans le tout feu d'un échange tantôt joyeux tantôt rennais-berrichon...A suivre!


lundi 22 octobre 2012

Décombres de brume...

Sous la brume doucement les décombres.
Au-dehors ils sont là, ceux de la menuiserie.
Nimbés d'une douce blancheur humide qui les rends assez esthétiques.
Hier visite d'un lieu en chantier, où les décombres sont là et la boue, entre destruction et reconstruction, il s'agit de l'immeuble conçu par l'architecte Louis Arretche( 1905-1991) que les rennais connaissent bien.
Impression fugitive d'une ville à deux faces.
Rennes, centre ancien.
Et Rennes, à la recherche de sa propre modernité.

Nous voilà devant l'immeuble en étoile où se tient l'exposition Newway Mabilais.
Centre des télécommunications désaffecté, le bâtiment en forme de tripode est déconcertant. Anachronique. Pose la question, non seulement du paysage, mais aussi du vieillissement de l'architecture contemporaine. Arretche voulut en faire un vaisseau spatial, doté d'une soucoupe volante en haut de l'antenne hertzienne qui était nécessaire pour le Centre.
Ne peux m'empêcher de penser à Startrek.

Visite gratuite le dimanche. Nous y sommes.
Il y a des flaques d'eau. On me raconte une inondation du bâtiment récente. Je m'amuse de toutes ces flaches comme dirait Rimbaud. Verra-t-on quelque bateau ivre dans l'exposition? (De fait plusieurs artistes y auront pensé qui proposent des oeuvres liée à l'eau.)
L'accueil est bon enfant. Il y a foule. Comme pour les journées du patrimoine. Gens de tous âges et même des bébés.

Oeuvres souvent conceptuelles, à la limite d'une inactualité touchante. Si loin de la patrie portative dont je cherche partout des bribes.

Heureusement j'en trouve quelques-unes.
Mexicaine d'abord avec l'artiste Jorge Satorre. Tracés gris, ex-votos, humilité de la micro-histoire. Me suis demandée si mon ami la poète Karla Olvera le connaissait.
Troublante et américaine avec Judith Scott (1943-2005). Poupées de la folie colorées et presque malades mais sauvées par ce geste de la cacher (la maladie) en l'enrobant de rubans et de fragments de tissus. Judith Scott était sourde et muette, atteinte de trisomie 21. Textiles qui nous font du bien et nous enveloppent. Un peu. Cocons.

D'autres oeuvres textiles comme celles de Valensi (1947-1999), ancien de Support/surface.
Bretonne avec Yann Serandour et ses papiers découpés.
D'autres encore.

On aimerait poser des questions. On en pose quelques-unes à une charmante jeune gardienne. Dont nous apprendrons qu'elle est bénévole. Et aussi pleine de bonne volonté et de bienveillance. Encore la langue à triturer. Malgré les décombres, la rouille, les murs taggés, tout ici est trop propre, trop sage. Quand je regarde sur les cartels l'âge des artistes, je suis déconcertée. Si jeunes et si dociles. Enfin, c'est ce qu'il me semble. Et puis il y a des morts. De plus âgés aussi.
L'impression de voir (par moments) une copie un peu ratée de la Collection Lambert ou de quelque foire d'art contemporain...Si peu de jeu. Si peu de révolte. Je pense à l'énergique Louise Bourgeois. Elle manque ici. Elle me manque. Ses broderies, par exemple!

Alors je me demande pourquoi Judith Scott ici. Et je me réjouis de sa présence.

Dimanche prochain je serai à la Halle St Pierre retrouver mes chers Banditi dell'arte.






dimanche 21 octobre 2012

Expérience de la lessive

Pas celle de Nausicaa et de ses servantes et de l'apparition d'Ulysse entre les buissons.
Méditerranéenne rencontre de la jeune fille et du naufragé.
Ni lessive de la folie à Saorge, là-haut, en Mercantour.

Expérience prosaïque plutôt. D'une certaine forme de précarité.
Celle du linge. Sale d'abord et transporté dans un sac de voyage.
Propre ensuite et mouillé, transporté dans le même sac à qui jamais pareille histoire n'était arrivée.

Ou expérience de l'utilisation de machines à sous pour perdre et pas du tout gagner.
Ou encore que le séchage du linge en laverie veut dire repartir avec son linge un peu moins mouillé mais mouillé tout de même.
Qui sont les gens qui viennent laver leur linge ici?
Des étudiants le plus souvent.
Des gens dont la machine à laver a rendu l'âme et qui ne peuvent s'en acheter une.
Et des poètes en résidence.
On croise donc des gens au Lavomatic de la rue et ils sont jeunes et gentils.
Se demandent que fait une dame comme moi ici. Mais ne posent pas la question. Sont polis. Etudiants en corps humain, c'est ce que j'aperçois du livre ouvert sur des membres et des muscles. Médecine, Kiné?
En tout cas lecteurs et au courant du fonctionnement des satanées machines à sous.
Je vais recevoir ma première leçon de lavage en machine.
J'ai affaire à des pédagogues, un peu inquiets tout de même devant ma maladresse.
C'est un peu comme regarder la télé, je leur dis.
D'un oeil on surveille sa lessive qui tourne gentiment en moussant. De l'autre l'auto, pas trop bien garée en face, à côté du restaurant chinois. Et de temps en temps on lit.
Le dépaysement, voyages en France.
C'est le livre que j'ai choisi de lire à la laverie avant de rejoindre une amie au cinéma.
Ce qui permet de poursuivre le questionnement sur la patrie portative.
De ça, motus et bouche cousue, je ne dis rien à mes jeunes compagnons d'aventure lavomatique.
Déjà qu'ils se posent des questions à mon encontre, si je leur parlais de patrie et qui plus est portative, je crois qu'ils ne me viendraient plus du tout en aide.
D'autant que je vais en avoir besoin puisque je constate avec horreur que le séchage, malgré les pièces dûment mises dans l'appareil, ne fonctionne pas. Eh oui, il fallait veiller à ce qu'aucun tissu n'entre en contact avec la porte. CQFD.
Et c'est pour ça qu'elle ne tournait pas, ma lessive!

Quid de la France ici?
Nous sommes trois français, au moins à fréquenter ce samedi soir le lavomatic de la rue Legraverend.
Qu'avons-nous en commun de français? La langue. Nous pouvons lire tous les trois les instructions.
Et les comprendre. Nous avons des références communes au sujet du linge et de la lessive.
La rue que nous voyons puisque nous sommes dans un lieu entièrement vitré, est une rue française. Les voitures qui passent portent une plaque d'immatriculation française. Et les gens sur les trottoirs qui nous regardent à travers la buée ont l'air français sans que je sache très bien ce que ça veut dire, avoir l'air français.
Et le paysage s'obscurcit peu à peu à cause de la nuit qui vient.
Quand hier, avec G. nous nous sommes rendus à Betton, j'ai reconnu une campagne française. Et je suis toujours à me demander ce que peut bien vouloir dire cette obsédante expression de patrie portative et là, me vient en aide, au moment où ma lessive tourne enfin au séchage, Jean-Christophe Bailly: la Bretagne est un bout du monde (français) et il suffit d'égrener la litanie des noms propres de Bratagne pour que le récitatif du voyage prenne la forme de ce que je cherche ici et ailleurs, la définition (?) de la notion de patrie portative.
Machine à écrire portable jusque dans les laveries automatiques de Bretagne, la voilà qui me suit partout comme un bon chien, mon vieux Vadim laissé dans le sud et qui me manque comme me manque la claire pensée du matin, lumineux et tendre pays natal dont je ne sais plus rien loin de lui, que mon effort à chercher à le dire!

"De la sorte, au lieu de ressembler à une surface finie, comme celle que présentent les cartes (...) le pays apparaîtrait comme une sorte d'espace all over, chacune des lignes de cet espace, quoique écrite dans la chair du monde, ne laissant aucune trace: dans l'air pas même un sillage, dans l'eau, quelques bulles et, sur terre, un peu d'herbe froissée." Et JCB ajoute:" quelque chose du pays, justement, nous reviendrait."

Du linge à la ligne, juste un déplacement de lettre.
Nécessaire.






samedi 20 octobre 2012

Jardins ouvriers aux prairies Saint Martin

Aujourd'hui j'avais pris des décisions.
Traverser le canal déjà. Voir la maison de l'autre côté. Pour ça, j'avais emporté mon appareil photo.
Aventure minuscule qui fait partie du jeu. Etre ici et de l'autre côté. Ecrire avec la lumière.
Voir ce qui me fait face.
Et puis brusquement me retrouver en face d'autre chose.
En face aussi on détruit.
Comme du côté où je vis, la menuiserie ou les maisons anciennes.
Jardins ouvriers bien cachés aux maisons rouges.
Envie de jardiner un texte pour.
Pour?

Je ne rivaliserai ni avec Ivar Ch'vavar ni avec les jardiniers du quartier Saint Martin. Mais je m'étonne qu'il y a tant de banques dans la rue de St Malo côté canal et qu'on veuille détruire les jardins ouvriers des prairies St Martin.

D'autant que la nature est bien là, dorée et chantante, les merles et les geais y sont nombreux. Il y aussi des gens. En bottes car la terre est boueuse. Ils transportent des choses, en jettent d'autres. Ils me regardent approcher. On se  salue. Une fille qui fait des photos, qu'est-ce qu'elle cherche ici? Mais ils ont envie de parler et puis des promeneurs ici ce n'est pas rare, au contraire. Dans la nature, on aime se promener, dit l'un des hommes.
La nature, c'est aussi les jardins, me dit un jardinier. Les têtes pensantes, me dit un autre jardinier, ont pensé à notre place et elles ont décidé de transformer les jardins en parc. Un autre ajoute: avant de transformer le parc en immeubles et lotissements.

Alors ils enlèvent ce qu'ils peuvent des jardins, les rosiers par exemple qui se transplantent bien. Et on s'étonne ensemble de ces décisions qui éloignent les gens de leurs jardins ouvriers. Qui les éloignent tout simplement.
Du côté où je suis aussi, on détruit, on déblaie, on exproprie.
Table rase.
Pas de place pour le petit pavillon et son jardinet rempli de roses.
Pas moderne. Vieillot, disent les technocrates. Alors on laisse une jardinière à la place du jardin effacé.


Il faudrait sans doute en savoir plus. Interroger d'autres gens que les jardiniers expulsés. Je me demande toujours quand se construisent de nouveaux immeubles qui va les habiter. D'où vont venir les nouveaux habitants. est-ce que ce sont des mal logés? Ici ce n'est pas pour construire, me disent les jardiniers, non, c'est pour faire un parc, ce mot de parc, ça nous fait rigoler; ceux qui veulent se promener ici, ils peuvent le faire!
Parc contre jardins?
Il y a à Rennes un parc somptueux: le Thabor au nom biblique, où j'ai aventuré quelques pas avant la pluie. C'était jeudi, je crois.
Un parc dans les prairies?
J'ai pu constater que se promener ici était un plaisir, comme marcher dans la forêt alors que la ville est là. Alors?
La friche doit être enrayée et civilisée. Il existe des plans pour occuper rationnellement les sols, on dit POS. Ici des jardins occupaient des hommes. Mais ce ne sera plus leur occupation dans peu de temps.

Ce matin, au lieu de me rendre à la laverie, j'ai obliqué vers les prairies et j'y ai découvert des jardins cachés dans la forêt et c'était heureux comme entrer dans la forêt d'enfance.

Le monde est effacé ce matin, seuls les décombres

La ville a disparu. Seuls les décombres de la menuiserie et une voiture blanche sont visibles.
Le ciel est grand. Blanc.
Mon espoir d'hier soir, qu'est-il devenu?
A la radio, une jolie voix féminine explique qu'il faut, pour les utiliser, nettoyer les expressions toutes faites. Ce qui me rappelle que je dois aller à la laverie. On lave son linge sale en famille, pourtant. Mais ici, où est la famille? Pas de photos sur la cheminée. Arrangement de visages absents pour ne pas les oublier.
Juste sur la table, à côté du lit, un oiseau mécanique.
De l'espèce bec dur.

Je crois n'être jamais allée dans une laverie. Ce sera une aventure. Il faut, m'a-t-on prévenu, apporter sa lessive et un livre. Non pour laver la langue du livre et de la sorte la renouveler, mais à cause du temps.
Le temps d'une lessive.
Depuis deux ou trois jours, je repousse cette visite. J'avais repéré celle qui est à côté du cimetière du Nord. Mais vraiment sinistre et trop proche de la lessive finale. Celle des morts. Une autre, rue de St Malo.
Froid aussi ce matin.
Mains glacées.
Pieds froids.
J'ai rêvé hier soir de la cheminée de Boulbon.
Comme on dit dans le sud, je me languis.
Alors je lessive à grands bols de café noir ma mélancolie en lisant beaucoup, en brodant un peu, en imaginant ce que je vais écrire/ne pas écrire.
Lessive de la folie que Guenaël Boutouillet a publié sur remue.net. Toujours l'inquiétude du linge, ce qu'il révèle d'intime et que soudain la laverie risque de dévoiler si par hasard...Le soleil chez moi sèche le linge que nous étendons dehors et qui devient drapeau joyeux au vent. Mais ici ce sera la machine qui séchera mon linge. Et l'auto nous conduira rue de St Malo, le linge et moi, à la laverie. Vies des machines qui machinent nos vies: ordinateur, téléphone, lave-linge etc...Sans oublier l'auto! Et Caproni
nous donne la clé qui relie la lessive et les morts:

Car brouillard il y a, et le brouillard est le brouillard, et le lait
dans les verres est encore brouillard, et brouillard
dans l'oeil de la femme qui lave
en savates le seuil de ces pauvres bars
où se trouve le passage de l'Erèbe.

En résidence, sont éliminées évidemment les tâches du quotidien. Et aussi les taches  sur nos vêtements. Comme pour Smouroute qui tente vainement de cacher la tache qu'il a sur lui, plumes d'oiseau et sang léger, mais signe tout de même d'un assassinat.
Rouge-gorge au jardin que surveille le chat derrière la vitre de Beauséjour.
Deux de mes amies ont écrit des textes sur les oiseaux: Lucetta Frisa sur le chardonneret et Hélène Sanguinetti sur le rouge gorge. J'ai lu hier soir celui d'Hélène écrit en hommage amical à Pascal Quignard. Venu samedi dernier à Rennes, aux Champs-Libres.

La petite voix féminine sur France Culture semble s'entêter à défendre un point de vue que je n'ai pas écouté et soudain, entendant le mot hétéronome, je pense à la patrie portative, au pays, au paysage de la France, au livre de Bailly dans lequel j'ai voyagé hier soir et cette nuit. Aussi repense au livre de Camille de Toledo où il tord le cou au mot origine. Et me revient la lancinante question que pose à nous le paysage: reconnaissance ou dépaysement et surtout ce mot qui semble a priori définir le poète ou le créateur, heimatlos, je sais que je veux écrire à partir de ce mot mais quand je regarde tous les livres qui ici m'entourent, je suis sur le point de faillir au contrat, comment écrire encore après tous ces mots, tous ces livres. Et voilà que je reçois des images de chez moi (étonnante facilité à dire ce qui est si difficile à penser: chez soi?) et des roses et des arbres avec la lumière mouillée d'un matin d'automne.


"L'homme pense, Dieu rit".
Proverbe yiddish cité par Kundera.
Auquel j'opposerai encore mon cher Caproni:

Dieu de volonté,
Dieu tout-puissant, essaie
(efforce-toi) de toute ton énergie
- au moins - d'exister.

Où est le soleil, un de nos chers petits dieux du sud? Il me faudra le chercher aujourd'hui sur les routes de Bretagne. Au loin, mon camarade JCB vole sur les eaux de l'Océan Indien. Plus près, EA joue la sorcière du Berry. Ici, à Beauséjour, danse du soleil à tenter avant de mettre un pied sur l'herbe. Et à la radio, une voix parle des oliviers et ceux du jardin là-bas, au loin, toujours gris toujours brillants, me questionnent sur ce que c'est un pays, une appartenance à un paysage, à une lumière. Autrefois on mettait des pièces sous les racines de l'olivier qu'on venait de planter. Et je repense aux olives que je cueillerai bientôt pour les amener au moulin. Monde méditerranéen dont je suis issue, est-ce là une origine, mot refusé, y ai-je des racines, mot encore refusé (cf ce que disait Michaux), la nostalgie parle-t-elle la langue maternelle ou plutôt une langue dont on ne sait rien et que l'on regrette justement de ne pas connaître?

Il est temps de couper court et d'aborder au monde, celui dehors encore tout enveloppé de brouillard.
Mettre ses pieds dans l'herbe mouillée. Quitter l'asile de Beauséjour.





(1)

remue.net/spip.php?article4748 

vendredi 19 octobre 2012

Paol Keineg, Claude Vigée, Marielle Anselmo, Wim Wenders

M'ont tenu compagnie hier soir.
Lisbonne éclatante a éclairé la nuit rennaise, brillante mais mouillée.

Beaucoup d'interrogations se réveillent avec le matin.
Ce temps donné, heimatlos, que vas-tu en faire?

Lecture de Claude Vigée pleine de réconciliation et d'amour. Pensée profonde, irriguée de vie et de culture. En lisant ces vers, j'ai pensé à B. privée aujourd'hui de son compagnon de vie.

Passant près d'un banc vide

Bonsoir, petite Evy, bonsoir comme autrefois,
toi qui, depuis de si longs jours déjà,
demeures loin de moi.

Bonsoir dès que je passe à côté de ton banc
dans le parc étranger où nul ne va s'asseoir
où personne dans le noir ne dresse les oreilles
quand le silence sur nous s'étend dans les buissons
et que, très lentement, avec la nuit qui tombe,
s'éteint dans la pénombre le murmure de mes mots:

entre plaisir et peine,
à travers deuil et joie,

bonsoir, petite Evy, bonsoir et à bientôt,
comme alors, mon Evy, serrés l'un contre l'autre,
à deux sur ce vieux banc.

Ce poème pour Evy, la compagne du poète morte en 2007, a été écrit en 2009.
De retour vers mon travail, j'en redoute la légèreté et pourtant, cette idée d'être sans patrie pour le poète, est-elle si éloignée de la réflexion de Claude Vigée?
Du coup, le poème ferait patrie en devenant le pays de l'heimatlos?
Ces mots de Georges Perros, La vie, c'est par moments, pourraient être ceux du jour. Mais l'écriture aussi, c'est par moments. Sauf qu'ici, à Beauséjour, la maison est tout en écriture, c'est une maison d'écriture. Et moi, là dedans? Comme les précédents, je doute. Vais-je vraiment ajouter des mots à ceux des autres, quelle énergie ou plutôt quelle folie me pousse?

Tandis que je bricole et encombre la table de mes bouts de papier sans prétention, tout va bien. Dès que j'approche du texte blanc où loger mon heimatlos, tout change. Je n'en dis pas plus.

Heureusement quelques lignes me réconfortent si elles n'apaisent pas tout à fait l'inquiétude. Et voilà Keineg et aussitôt je me mets à courir dans l'encre comme on nage dans la mer.

L'acte simple de dire les noms
       comme quand au théâtre
       on fait dire
                 des choses aux mots
       en portant aux lèvres
                     une petite photo.

Et la journée s'ouvre avec la silhouette des arbres, les décombres de la menuiserie que j'aperçois de la table où la tasse de café a refroidi, la voix de la radio, l'absence totale de maîtrise de quoi que ce soit dans l'amitié. Et c'est presque joyeux, enfin.

Et Lisbonne en horizon doré et les écrits posthumes de Sebald sur la Corse et lui, que j'ai découvert survolant la Méditerranée, dans un biplace, Méditerranée dont nous disons qu'elle est notre mer, mare nostrum, et j'entendais enfant notre mère, ce qui va sans doute avec le fait que je suis née à Marseille et que ma mère pensait que hors de la grande bleue, aucune mer ne méritait notre amour.

A Brest j'ai vu la couleur bleue.
C'était celle de la mer d'Iroise.
Pays roux rejoint d'un bond
le pays vert de Bretagne.







jeudi 18 octobre 2012

Comment dire ce qui ne se peut dire, un seul mot très court...?

Plongée dans Rennes en auto.
Auto= voiture.
Mon père avait une auto.
J'en ai une à mon tour.
Garée près du Thabor.
Je progresse peu à peu dans le labyrinthe.
Ariane ma soeur, je cherche un peu de musique et découvre Klaus Nomi dans un bac.
Et me ressouviens de sa voix. Et de son interprétation de Purcell (Cold song).

Très approprié à la nouvelle que je viens de recevoir.
Nouvelle attendue mais dont il faut entendre les mots pour être sûr.
H. vient de mourir. C'était une mort attendue. Attendue? N'a-t-on pas espéré?
La langue vient à notre aide qui dit: contre toute attente.
La langue reste une drôle de machine. Un peu comme l'auto. On n'en fait pas ce qu'on veut.
Comme les mots.
Celui-là par exemple de patrie, allez en faire usage!

Hier j'avais acheté du fil bleu (Ariane encore!) pour la broderie et aujourd'hui je reviens avec la musique morte et vivante de Klaus Nomi et Django Reinhardt. Morts trop jeunes tous les deux.
Et je repense à ce curieux mot en trois syllabes: décédé, que je n'aime pas employer. Mort peut-être est trop court, trop vif dans sa brièveté pour dire la disparition.
La raison pour laquelle beaucoup usent de ce mot en trois syllabes.
Croit-on ralentir le temps?
Quand mon père est mort, lorsque je suis revenue en classe, je n'ai pas dit qu'il était décédé, mot absurde de faire-part et d'administration, me semblait-il.
Comme une de mes élèves m'annonçant, pour expliquer son retard, aujourd'hui mon père est mort.

Et puis j'ai acheté aussi du basilic et l'ai mis sur la fenêtre, celle qui regarde gravats et cimetière.
Repensé à la nouvelle de Boccace.
Dans le pot aucune tête cachée.
Même pas celle de la fontaine qui a disparu en ville. Ouest France en parlait ce matin et j'ai pu voir sa beauté disparue, volée, envolée.
Granit des magiciens vole!
Ai raconté à Gwenola que je lis et relis matin et soir le guide de la Bretagne.
Ne m'en lasse pas de parcourir cette terre de géants en rêve.
La mort de Segalen longtemps, je l'ai imaginée sous un chêne comme celui géant que j'ai vu au Thabor tout à l'heure.

Ai aussi acheté de la Chorba, la soupe de Zohra, mon amour d'adolescente dont je ne sais plus rien.
Et la dégusterai ce soir avec un peu de basilic et des pois chiches en hommage à mes morts.
Encore une fois, manger la mort!


ça commence, ça avance, ça poursuit, l'écrit dure!

Voilà!
Démarrons.
Des marrons?
J'ai lu dans le carnet de Joël Bastard sa liste de courses, toujours on y trouve la crème de marrons.
Les marrons, c'est l'automne et ici, au bord du canal, ça y est, ça vient, ça avance.
Marrons/châtaignes. Bretagne/Cévennes.
Et castagne aussi avec l'écriture.
Se castagnier: se battre.
Car dure elle est, madame la Poésie parfois. Pas tendre avec ceux qui croient l'amadouer.
Depuis que je suis arrivée, elle est venue, s'est installée avec moi, de Rennes à Brest en passant par Nantes, en compagnie.
Dure, oui, et longtemps, deux mois à la pourchasser, chasseur/chassée.
Aux lisières, en forêt, dehors, dedans.
De la table d'écriture vue sur le cimetière du nord. Facile à se repérer comme ça, au nord la mort.
Au sud, le canal mouvant, eau constellée de pluie. Ou de soleil.
Lire/écrire.
Lire Thomas Bernhard, Edith Azam, Paol Keneg, Camille de Toledo.
Livres acquis, livres trouvés, livres offerts.
Livres de la bibliothèque.
Un lieu de résidence doit comporter une bibliothèque. Ma déception à Vauvert. Ma joie à Saorge.
Tout à l'heure à Gwenola: je parcours la Bretagne en la lisant-dévorant.
Et la bibliothèque se fait cuisine. Gloutonnerie du poète.
Les poètes trop maigres m'inquiètent.
Je ne sais pas m'arrêter
- de lire
- de manger
- d'écrire
- d'avancer
- de vivre
et surtout ne pas mettre ici de point à la ligne!
Depuis que je suis là, j'envahis méthodiquement les pièces de l'appartement, y semant le désordre familier qui m'entoure, au sud comme à l'ouest.
Hier Nathalie Guen m'a envoyé un message: les oiseaux sont des cons et je n'ai pas pu regarder le petit film mais elle a ajouté Smouroute aussi est un con.
La poésie me fait rire avec Nathalie! Et le rire danse avec la pluie!
Vierges folles, SD, 2012