A PROPOS DE LOUIS SOUTTER(1871-1942)
« Ce
n’est ni beau ni correct, c’est exact,
Je peins avec
de l’encre et du sang, je peins vrai. »
Herman Hesse, poème sur Louis Soutter
Peindre
vrai. Vivre vrai.
La
Suisse est le territoire-prison, la maison et l’asile de Louis Soutter.
Suisse
marâtre et maternelle à la fois.
En
1923, à Ballaigues, dans le canton de Vaud, où il est enfermé contre son gré,
Louis Soutter fait éclore la peinture où l’on attendait la folie.
En
2008, à Ballaigues, on a tout oublié de l’asile et de Louis Soutter. Sur les
dépliants touristiques, on vante la beauté de ce charmant village suisse aux
belles maisons traditionnelles. Au cimetière on trouve toutefois une plaque
commémorative. Louis Soutter, la honte de la famille devenu la honte de
Ballaigues ?
Revenu
de tout et des Etats-Unis, lâché par l’ambition, le mariage et même la musique,
Louis Soutter à 52 ans entreprend une œuvre à l’âge où beaucoup ont renoncé à
faire oeuvre.
C’est
un homme usé dont le corps pèse peu. Louis Soutter est tout entier tourné vers
l’intérieur, pratiquant l’abstinence, asséchant ses personnages à coups d’encre
et de crayon jusqu’à les rendre essentiels, sans boursouflure ni chair, mais
remplis d’intensité et de mouvement. « Regarder dehors », écrit-il à
son cousin Le Corbusier, « pourquoi ? » Lui n’aime que les
maisons sans fenêtres. A l’asile, tout est transparent et chacun est observé.
Pas de dehors, ni de dedans.
Plus
le temps passe et à Ballaigues le temps est long au milieu des vieillards et
des fous, plus L.S. s’octroie de temps en temps des échappées, comme son
compatriote, l’écrivain Robert Walser, interné à Herisau, dans le canton de
Appenzell-Rhodes Extérieures, et la marche devient l’exercice qui permet de
supporter l’enfermement, les brimades et les moqueries du personnel. Marcher
comme jeûner permet d’extirper de soi le gras, celui de la chair mais aussi de
l’esprit et de revenir vers l’asile, vers le dessin furieusement, en utilisant
tout le corps mis à nu. Il se livre de plus en plus avec passion à une peinture
gestuelle et emportée, dessinant avec ses doigts, comme s’il obtenait de ses
jeûnes répétés une tension et une énergie renouvelées. C’est ainsi que
s’accomplit une étrange danse zigzagante sur le papier et dans la pièce où
peint l’artiste. Quelques regards amicaux et avertis le libèrent un peu des
sourires sarcastiques des soignants. Son travail, peu à peu, est reconnu comme
tel. Jean Giono lui donne de quoi acheter papier et crayons. Son cousin Le
Corbusier lui apporte des livres. De la même manière qu’il détourne les livres
que lui offre son cousin en dessinant d’extraordinaires marginalia , il détourne les chefs d’œuvre de la peinture en les
copiant et en les interprétant de sorte qu’ils deviennent des œuvres de LS à
part entière : crucifixion, pietà, golgotha, madone, tout lui est bon.
Peintures noires, comme on le dit de Goya mais aussi de Soulages, celles de
Soutter laissent parfois un peu de place à la couleur. Mais le noir prédomine,
il est le sang de sa peinture.
Le
peintre est aussi poète. Les titres qu’il inscrit à l’encre sur ses dessins
forment une longue chaîne poétique, dévoilant un imaginaire riche et singulier.
Qu’on
s’attarde sur ses titres et on verra se déployer un univers étrange et
personnel où la mort croise la vie sans cesse, où la danse et l’immobilité se
rencontrent. Qu’on en juge plutôt avec ce choix de titres:
L’humour noir:
Depuis l’orang-outan jusqu’à
l’humain,
L’obus printanier
Midi des nonagénaires
La
mort :
Dans un grand vase vide en
cristal meurent des fleurs,
Eclaboussures du crime,
Crépuscule du gangster,
La
religion :
Enfer des abbesses,
Pâques, ceci est mon sang,
Mutilés par les saints,
La femme entre la croix et
le serpent
L’angoisse :
Soleil de la peur,
Echos de détresse
Catastrophe,
Coup d’envoi au crématoire
La
nature :
Nature fabriquée,
Cerises cyclopes en
enfantement clos,
Les dons des grappes
Trois êtres des bois sans
vie
L’humain
Tourments des nus, temps du pneu
Employées de sang
Station des irrépréhensibles
Hôtes de roulotte,
Souplesse,
Entre nus, gâteux tous
Pauvres gens et leur bois
mort.
Ce
ne sont que quelques exemples de la dimension que Louis Soutter donne à ses
oeuvres en utilisant les mots à sa manière pour traduire l’inquiétude
fondamentale qui le traverse. Son écriture est sèche et se cale dans les creux
du dessin, parfois raturée, inversée même ou illisible. Ces titres pourraient
être des phylactères comme dans Nous
souffrons d’amour ou des sortes de légendes comme dans De minuit au jour, accompagné du mystérieux et troublant Trapeau de SD. Dans Salons américains du tragique New York, l’écriture se fait
palimpseste et se cache dans l’oeuvre.
En
lisant les différents titres, comme en regardant les dessins, nous découvrons
des entrées possibles dans l’univers de Soutter, des échos de sa vie ( Jeûne par exemple ou Entre nus, gâteux tous, ou encore Midi des nonagénaires), les lieux qu’il
a fréquentés mais inscrits de telle façon que le spectateur soit aussi lecteur
de l’œuvre en train de se faire. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à observer le
travail d’enlumineur auquel il se livre sur les ouvrages qu’on lui offre.
L’encre,
les mots, les livres et les dessins.
Tout
un territoire à explorer.
Le
territoire noir de Louis Soutter, peintre, suisse et poète.
SD
nous sommes à côté de toi, de Smouroute et de Soutter...
RépondreSupprimerlucetta et Marco
Je vous envoie, chers, une petite surprise que je devais vous envoyer à Noel mais...
RépondreSupprimerJ'aime vos mots! Grazie...In aprile, maybe...And you?