Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mercredi 23 janvier 2013

En SUISSE avec SOUTTER!





A PROPOS DE LOUIS SOUTTER(1871-1942)


« Ce n’est ni beau ni correct, c’est exact,
Je peins avec de l’encre et du sang, je peins vrai. »

Herman Hesse, poème sur Louis Soutter



Peindre vrai. Vivre vrai.
La Suisse est le territoire-prison, la maison et l’asile de Louis Soutter.
Suisse marâtre et maternelle à la fois.

En 1923, à Ballaigues, dans le canton de Vaud, où il est enfermé contre son gré, Louis Soutter fait éclore la peinture où l’on attendait la folie.
En 2008, à Ballaigues, on a tout oublié de l’asile et de Louis Soutter. Sur les dépliants touristiques, on vante la beauté de ce charmant village suisse aux belles maisons traditionnelles. Au cimetière on trouve toutefois une plaque commémorative. Louis Soutter, la honte de la famille devenu la honte de Ballaigues ?
Revenu de tout et des Etats-Unis, lâché par l’ambition, le mariage et même la musique, Louis Soutter à 52 ans entreprend une œuvre à l’âge où beaucoup ont renoncé à faire oeuvre.
C’est un homme usé dont le corps pèse peu. Louis Soutter est tout entier tourné vers l’intérieur, pratiquant l’abstinence, asséchant ses personnages à coups d’encre et de crayon jusqu’à les rendre essentiels, sans boursouflure ni chair, mais remplis d’intensité et de mouvement. « Regarder dehors », écrit-il à son cousin Le Corbusier,  « pourquoi ? » Lui n’aime que les maisons sans fenêtres. A l’asile, tout est transparent et chacun est observé. Pas de dehors, ni de dedans.

Plus le temps passe et à Ballaigues le temps est long au milieu des vieillards et des fous, plus L.S. s’octroie de temps en temps des échappées, comme son compatriote, l’écrivain Robert Walser, interné à Herisau, dans le canton de Appenzell-Rhodes Extérieures, et la marche devient l’exercice qui permet de supporter l’enfermement, les brimades et les moqueries du personnel. Marcher comme jeûner permet d’extirper de soi le gras, celui de la chair mais aussi de l’esprit et de revenir vers l’asile, vers le dessin furieusement, en utilisant tout le corps mis à nu. Il se livre de plus en plus avec passion à une peinture gestuelle et emportée, dessinant avec ses doigts, comme s’il obtenait de ses jeûnes répétés une tension et une énergie renouvelées. C’est ainsi que s’accomplit une étrange danse zigzagante sur le papier et dans la pièce où peint l’artiste. Quelques regards amicaux et avertis le libèrent un peu des sourires sarcastiques des soignants. Son travail, peu à peu, est reconnu comme tel. Jean Giono lui donne de quoi acheter papier et crayons. Son cousin Le Corbusier lui apporte des livres. De la même manière qu’il détourne les livres que lui offre son cousin en dessinant d’extraordinaires marginalia , il détourne les chefs d’œuvre de la peinture en les copiant et en les interprétant de sorte qu’ils deviennent des œuvres de LS à part entière : crucifixion, pietà, golgotha, madone, tout lui est bon. Peintures noires, comme on le dit de Goya mais aussi de Soulages, celles de Soutter laissent parfois un peu de place à la couleur. Mais le noir prédomine, il est le sang de sa peinture.


Le peintre est aussi poète. Les titres qu’il inscrit à l’encre sur ses dessins forment une longue chaîne poétique, dévoilant un imaginaire riche et singulier.
Qu’on s’attarde sur ses titres et on verra se déployer un univers étrange et personnel où la mort croise la vie sans cesse, où la danse et l’immobilité se rencontrent. Qu’on en juge plutôt avec ce choix de titres:
L’humour noir:
Depuis l’orang-outan jusqu’à l’humain,
L’obus printanier
Midi des nonagénaires
La mort :
Dans un grand vase vide en cristal meurent des fleurs,
Eclaboussures du crime,
Crépuscule du gangster,
La religion :
Enfer des abbesses,
Pâques, ceci est mon sang,
Mutilés par les saints,
La femme entre la croix et le serpent
L’angoisse :
Soleil de la peur,
Echos de détresse
Catastrophe,
Coup d’envoi au crématoire
La nature :
Nature fabriquée,
Cerises cyclopes en enfantement clos,
Les dons des grappes
Trois êtres des bois sans vie

L’humain

Tourments des nus, temps du pneu

Employées de sang
Station des irrépréhensibles
Hôtes de roulotte,
Souplesse,
Entre nus, gâteux tous
Pauvres gens et leur bois mort.

Ce ne sont que quelques exemples de la dimension que Louis Soutter donne à ses oeuvres en utilisant les mots à sa manière pour traduire l’inquiétude fondamentale qui le traverse. Son écriture est sèche et se cale dans les creux du dessin, parfois raturée, inversée même ou illisible. Ces titres pourraient être des phylactères comme dans Nous souffrons d’amour ou des sortes de légendes comme dans De minuit au jour, accompagné du mystérieux et troublant Trapeau de SD. Dans Salons américains du tragique New York, l’écriture se fait palimpseste et se cache dans l’oeuvre.
En lisant les différents titres, comme en regardant les dessins, nous découvrons des entrées possibles dans l’univers de Soutter, des échos de sa vie ( Jeûne par exemple ou Entre nus, gâteux tous, ou encore Midi des nonagénaires), les lieux qu’il a fréquentés mais inscrits de telle façon que le spectateur soit aussi lecteur de l’œuvre en train de se faire. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à observer le travail d’enlumineur auquel il se livre sur les ouvrages qu’on lui offre.

L’encre, les mots, les livres et les dessins.
Tout un territoire à explorer.
Le territoire noir de Louis Soutter, peintre, suisse et poète.

SD

2 commentaires:

  1. nous sommes à côté de toi, de Smouroute et de Soutter...
    lucetta et Marco

    RépondreSupprimer
  2. Je vous envoie, chers, une petite surprise que je devais vous envoyer à Noel mais...
    J'aime vos mots! Grazie...In aprile, maybe...And you?

    RépondreSupprimer