Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

jeudi 6 décembre 2012

Une exaltante petite surprise, Robert Walser!

"Le voyage a commencé un beau jour de novembre
Mais d'une certaine manière le voyage avait déjà pris fin
Lorsque nous l'avons commencé.
Tous les temps coexistent, a  dit Pancho Ferri,
Le chanteur. Ou confluent, 
Allez donc savoir.
Les prolégomènes, cependant,
Ont été simples:
Nous avons abordé l'air résigné
La camionnette
Dont notre manager dans un accès 
De démence 
Nous avait fait présent
Et nous avons mis cap sur le nord,
Le nord qui aimantait les rêves
Et les chansons sans signification
Apparente
Des Néo-Chiliens (...)"
in Trois, Roberto Bolano

- Roberto, je te présente Robert Walser que tu connais déjà. Mais aujourd'hui, ensemble tous les trois, nous allons fêter son arrivée à Blanès comme il se doit. Et ton retour aussi, cher détective sauvage.
Ce n'est pas si fréquent que les rêves se réalisent et tu en connais un bout sur la question, non? Et puis ce que tu dis là, dans ton poème sur les Néo-Chiliens, ça me rappelle ma fichue rengaine de patrie portative et comment elle est devenue une obsession à partager avec des gens comme toi, comme lui, l'égaré.
- Robert, permettez-moi de vous présenter Roberto Bolano, un écrivain que vous n'avez pu lire pour la bonne raison qu'il est né après votre mort. Mais je suis certaine que vous avez beaucoup de choses en commun, lui le chilien et vous, le suisse.
Ne me demandez pas de me présenter à mon tour. Juste ce souci de la langue, cette patrie que nous partageons tous les trois avec d'autres, Sebald, par exemple ou Pessoa. Patrimoine immatériel. Multiplicité et exil. Mais nous avons mieux à faire que d'écouter mes fatrasies personnelles. Il y a toujours une bonne raison de lever son verre!

Soutine, L'idiot du village et dessin SD

En ce qui me concerne, j'apprends vaillamment le français, je vais au bureau tous les matins, je rentre fou le soir, j'attends des lettres, n'en écris pas, attends néanmoins trois lettres au moins chaque soir. Elles devraient m'accueillir quand j'ouvre la porte, blanches, éblouissantes de blancheur, avec le cher timbre, le doux tampon postal et tout et tout . Et comme il n'y en a pas une seule, je deviens tout chose et je ne peux plus travailler et me dis très raisonnablement : tu n'écris pas de lettres et tu en attends! Eh, benêt.
Ce n'est pas vraiment que j'attende des lettres, mais en ce moment, je ne cesse d'attendre quelque chose d'aussi émouvant, d'aussi tendre qu'une lettre. Tous les soirs, il devrait y avoir une exaltante petite surprise pour m'accueillir, exactement comme une lettre.


Lettre de Robert Walser à sa soeur Lisa, le 5 mai 1898

Si dans la langue de Roberto, j'utilise assez facilement le tutoiement, dans celle de Robert, ça m'est impossible. Il y a peut-être une autre raison. Robert Walser, outre l'écriture minuscule qu'il pratiquait dans les microgrammes, changeait d'écriture selon le destinataire de ses lettres. Et puis il est mort l'année de ma naissance, ou presque. Tandis que Roberto est en quelque sorte mon contemporain. Bonnes ou mauvaises raisons? La lecture de ses lettres répond à son désir d'en recevoir. Il est émouvant de lire ce qu'il écrit à sa soeur sur son désir de recevoir des lettres, désir que nous ressentons parfois si fort et que facebook comble si peu.

Sur la couverture de la correspondance de Robert Walser, l'éditeur (Zoé) a choisi trois photos de l'écrivain. L'une le montre à Berlin, jeune et encore plein de rêves, une autre à la fin de sa vie lorsqu'il partait en promenade avec Carl Seelig et la dernière, en partie tronquée, nous donne à voir son regard.
Comme toujours je me demande quelle photo est la plus proche de ce que fut Robert Walser. Est-ce qu'une parcelle de son identité est retenue dans un de ses portraits? Le berlinois élégant dont le regard s'égare loin de nous, le vieil homme au visage marqué?

Malgré moi se relient les trois visages, mais aussi les trois hommes, Soutine, Walser et Bolano. Je ne présenterai pas Soutine aux deux écrivains. Si c'était en mon pouvoir, j'inviterais à notre table le peintre suisse Louis Soutter. Les deux suisses ont en commun l'expérience de l'asile et le troisième a avec eux celle de la maladie et de l'exil. Et puis, pour ne pas être la seule fille, j'inviterais aussi Aloïse et nous partirions tous les cinq en voyage, un voyage en compagnie du groupe des Néo-Chiliens pour ne pas être en reste avec la musique.

"D'ici là, je vous envoie mes salutations très cordiales et reste votre amicalement dévoué,
Robert Walser

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