Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

vendredi 14 décembre 2012

Neuvième poète helvétique : l'artiste de la frugalité!

Il faut bien revenir.
Ici comme chez soi.
Ce qui pourrait signifier qu'ici est un chez soi.
Et tous les ailleurs pourraient être aussi des ici.
Ou encore que l'on revient toujours chez soi.
Si on en a un, de chez soi.

Le début de l'alphabet

Enfin, comme le héros fourbu ou le vagabond perdu, comme Robert Walser enfourchant sa valise pour loger tantôt à Berne, tantôt à Bienne, comme Sebald errant parmi les histoires sans fin d'Austerlitz, comme qui va mieux et espère en le mouvement de la pensée, je reviens tenir un semblant de compte.
Compte-goutte.
Gouttes de temps.
Gouttes aux essences.
Gouttes à prendre avec de l'eau.

Du lit à la table, enfin.
Quelques petits événements m'ont tiré de ma torpeur malade.
D'abord sans aucun doute la cortisone. Qu'elle en soit remerciée. Il existe certainement un petit dieu pour elle aussi.
Aussi, le petit dieu de la correspondance de Robert Walser (éditions ZOE), acquis juste avant l'arrivée du virus. Là j'y ai trouvé réconfort et légèreté. En ai même un peu brodé ici et là quelques surjets et autres coutures.

nouveau bonzom SD

Ensuite une bonne nouvelle envoyée par l'ami Calamusa: la publication du Paradis de l'oiseleur est annoncée pour 2013. Il fera même les illustrations. Dire que j'en suis ravie, évidemment.


le paradis de l’oiseleur
a le vent pour ami et la pluie
le ciel gris où tracer un récit
et enfermer dans la peur
ce qui chante et s’élève

pour elle la huppe/seul le mépris !
s’envole dans le bleu de compagnie –
la couleur fauve du renard à la main
celle qui dit au revoir
au paradis de l’oiseleur


Et puis, pour finir, bizarrement, (on va voir de quoi je suis moi aussi capable), ce sont les termes écrivain d'avant-garde que s'applique une écrivaine dont je tairai tout de même le nom, dans sa présentation sur le site de son éditeur, qui m'ont donné l'envie de revenir à la table d'écriture en déclenchant une poussée d'humeur salutaire. Heureusement Walser :

Quant à mon commerce de petites proses, il se porte assez mal en ce moment; mais je ne me laisse pas décourager par la baisse de mes actions de prose (...) Je trouve tout cela très compréhensible parce que presque tous les auteurs d'aujourd'hui pètent plus haut que leur cul, comme on dit en parlant de gens qui se poussent du col. (...)
Avec beaucoup de messages cordiaux de votre
Robertchen Walserchen.

Lettre du 14 mars 1928 à Frida Mermet

Alors je le déclare tout net ici à la suite de Robert Walser : je suis une écrivaine d'arrière-garde, celle qui traîne loin derrière les autres et s'amuse d'une libellule posée sur le nombril d'un poète, encore plus attardé que moi. J'ai pensé à Walser, à son éloge des petites culottes et des chaussettes bien reprisées, à ses remarques caustiques et drôles sur les écrivains de son temps. Après tout, on le découvre aujourd'hui avec enthousiasme: un écrivain d'avant-garde mort depuis 1956! On voit par là que je suis prétentieuse puisque j'espère une reconnaissance post mortem égale à la sienne. Mes héritiers devront attendre longtemps...Et moi avec, ce qui éloignera tout avenir pour l'écrivain d'avant-garde...Et puis, l'arrière-garde va bien aux marcheurs indolents dont je fais partie. Le succès court à l'envers et se mord la queue (!).

Nous vivons une époque dans laquelle il est difficile d'avoir de vigoureux succès, aussi bien dans le domaine sexuel que culturel. Il faut être un artiste de la frugalité. Je considère ce point comme très important.
Lettre à Frida Mermet du 13 décembre 1927


Je pourrais écrire encore avec Walser. Parce que ses lettres sont un beau cadeau de Noël avant Noël. Comme s'il les avait écrites pour moi. Comme si j'étais tour à tour Frida ou Herman Hesse ou Max Brod ou...Il y aurait tant à dire, à citer, et revenir évidemment avec lui vers La Promenade, Les enfants Tanner, Le Commis ou encore Le Brigand ou Vie de Poète. Dans ses lettres, on le voit plus que jamais sans patrie, jouant du fait qu'il parle un allemand suisse mais qu'il s'amuse aussi bien avec le dialecte qu'avec le français. Toujours jouant. Construisant dans la déconstruction une patrie portative qui est son écriture, légère, mais vive et impertinente. Osant dire ce que personne ne dit dans une lettre pour prendre congé de l'amie Frida Mermet:

Cette année, je n'ai pas énormément produit, j'ai laissé à quelques génies le temps de se développer (...) mais je reste néanmoins à peu près au neuvième rang des poètes helvétiques, et, à ce titre, je vous envoie mes salutations, et vous reste non pas fidèle à l'excès, ce qui serait lassant pour vous, mais encore et toujours un peu affectionné, et tout en vous vouant une estime inouïe, votre
                                                                                                             Robert Walser



C'est moi qui souligne! Neuvième poète helvétique, voilà qui guérit de bien des vanités...




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