Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mercredi 5 décembre 2012

266 lettresde R.W, de 1897 à 1949

Encore une fois.
Encore un livre.
Encore l'étrange ivresse d'emporter le livre avec soi.
Comme un petit larcin de rien. Une folie minuscule partagée avec quelques-uns.


Le livre est près de moi.
Il a voyagé jusqu'ici.
Posé sur le lit, il se tient en attente. Plus sage que le chaton qui joue avec l'emballage.
Dans la librairie, il était invisible, à côté des nouveautés.
De tous ces titres dont on lit partout le pire comme le meilleur, de tous ces livres dont on ne peut s'empêcher de se demander combien vont résister, et pourtant c'était pour lui que je suis entrée dans la librairie.

" ...mais il y a maintenant chez nous et sans doute également chez vous beaucoup de gens qui estiment que les poèmes ne sont pas un travail, mais bien plutôt quelque chose de bizarre, de méprisable. il en a toujours été ainsi en Allemagne, la patrie des écrivains et des poètes..."

266. C'est le bon nombre pour une soirée d'hiver. 266 lettres de Robert Walser, le poète aimé, le poète perdu, buveur et marcheur, mauvaise tête et heimatlos.
Je ne sais plus par quel livre de lui tout a commencé. Mais je me souviens que ce fut une joie. Le sentiment d'avoir trouvé ce que je recherchais et que j'avais aperçu dans l'oeuvre de Calaferte. Une sorte de fraternité bizarre, une émotion aussi et ce goût des travailleurs de la semaine que les lecteurs des petites proses walsériennes connaissent bien.
Il y a eu aussi l'ami Carl Seelig venu marcher avec Walser jusqu'à sa mort.
Ses promenades sont une preuve que la fratrie comme patrie n'est pas un vain mot.
Et lisant hier que Maria Maïlat n'aimait pas le cynisme de Cioran, j'ai pensé que moi non plus, je ne l'aimais pas, et depuis longtemps, lui préférant Lichtenberg et surtout Robert Walser. Ils ont une manière de dire la dérision, avec une sorte de tendresse, qui ne les rend en rien supérieurs à l'humanité fragile et ridicule dont ils savent qu'ils font partie, eux aussi.

Je voudrais écrire simplement.
Parler modestement de ce qu'est la patrie portative.
Avec une joyeuse auto-dérision, sans forfanterie.
Comme un poète maigre et grand marcheur, un poète invisible et grand buveur. Un poète aux 50 rêves.
Ou plutôt, oui, dans ce mouvement de la marche et de l'écriture ensemble dont parle Gustavo Giacosa dans sa présentation de l'exposition Noi, quelli della parola che sempre cammina. Redonner à chacun un peu de cette marche que Walt Whitman transforme en écriture poétique :" A pieds et le coeur content/ je m'en vais sur la route..."Toujours la mobilité, ce qui pousse à partir, à rêver d'une patrie portative qu'on amènerait avec soi.
Premier livre de poète lu: Prose du Transibérien et de la petite Jehanne de France. Toujours à chercher de quoi nourrir le mouvement et son immobilité.
Comme la nuit arrive, la lecture des 266 lettres va devenir possible.
Une question encore : existe-t-il des poètes sédentaires?

Arriver à danser et jubiler de la chose la plus triste qui soit. Walser savait le faire.
A rendre sa légèreté à la patrie.
Portative dont légère.
Poésie portative à la Bolano (je en sais toujours pas faire la tilde sur le clavier de l'ordinateur.)


Oui, ce soir, c'est mon seul souhait: danser sur la promenade de Blanès, sous la neige, en compagnie de tous les fantômes et avoir le plaisir de présenter Roberto Bolano à Robert Walser.
Oui, simplement:
-Roberto, Robert.
-Robert, Roberto.
Mes deux fantômes se reconnaîtraient alors et nous irions manger des gâteaux chez l'ami pâtissier de Roberto. Et nous irions ensuite acheter deux bonnes bouteilles pour finir l'après-midi en face de la mer.


la mer à Blanès

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire