Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

dimanche 4 novembre 2012

Chasseurs de paradis, Hardellet, Soutine, Ghost...ce bleu qui brillait...

la pluie, le vent et l'arbre 

Au-dehors les chasseurs tirent. Ils n'ont pas lu André Hardellet.
"Chance: Un coup de chance comme, soudain, une odeur balsamique dans le vent des rues."
Ils ignorent la forêt puisqu'ici elle n'existe pas. Seulement la plaine où tirer oiseaux et lapins.
Et même pigeons.
C'est ainsi qu'ils ont tué Ghost.
Nous l'avions trouvé en ville, entre deux autos, presque mort, de peur, de froid, de sa chute hors du nid, pigeonneau blanc et rose, presque nu. En face de la prison, à deux pas du cinéma.
Nous avions vu Ghost Dog. Voilà Ghost Bird, a dit mon fils.
Ramené chez nous, Ghost est devenu un oiseau, un ami, un familier. Son étonnante adaptation à la vie en campagne nous a enchantés. Sa familiarité joyeuse a fait le reste et nos voisins l'ont adopté aussi.
Ghost, le pigeon des villes au plumage immaculé, a vécu ainsi une année heureuse. Notre vieux voisin l'a sauvé une fois des mains d'un voleur qui voulait l'enfourner dans un sac, pour le manger, avions-nous supposé.
Ghost venait nous attendre à l'entrée du chemin et survolait l'auto en volant joyeusement. Il savait aussi nous retrouver en se posant sur la fenêtre de la pièce où nous étions. Ghost, petit messager, c'est un chasseur qui a fini par t'avoir.

Je n'ai aucune photo de lui car c'était un temps où je ne prenais pas de photo.
Mais Ghost a existé. Il nous a tous réconciliés avec les pigeons. Sa grâce parfaite, son intelligence nous ont donné une entrée au paradis.

Chasseurs de paradis. André Hardellet, à relire.
A la recherche de bribes, de fragments heureux.
Comme son dictionnaire tendre dans les Chasseurs, déjà cité.
"Martin-pêcheur. Eclair bleu dans l'ombre des saules, il égratigne l'eau et disparaît; son aile perd une goutte qui, seule, en tombant, l'affirme encore."


Giono encore. Fragments d'un paradis.

"Alors on sentait l'odeur du vent. C'était un goût de sel un peu musqué, pas désagréable, mais qui donnait un féroce appétit de rochers, de falaises et d'un immense arrière-pays sur lequel enfin une matière immobile pouvait soutenir le pas."

Cette matière immobile, c'est la couleur qui aide le marcheur à avancer. Odeurs, goûts, couleurs qui donnent à voir.
Le bleu qui brillait sur les feuilles de l'arbre en tempête: Soutine.
Les enfants courant pour échapper à l'orage dans le chemin boueux: Soutine.
Un arbre immense et bleu: Soutine.

A l'Orangeraie, j'ai eu le bonheur de retrouver, non seulement le rouge, celui de la viande, des vêtements, des bouches ensanglantées, mais de la puissance de la peinture. Et voilà que le bleu éclate à son tour sur la toile, bleu des feuilles, des ciels, des blouses des enfants, un monde bleu, un bleu bien particulier, mouillé et mouvant, celui que j'ai découvert en Bretagne, au large de Cancale.
Soutine signait souvent en rouge. Mais avait aussi l'usage du bleu.
Grand bonheur que le don de cette couleur, à rapporter comme un trésor dans les pans relevés du tablier.
Chez nous, ma mère appelait la Méditerranée, la grande bleue. Et un de ses amis, le professeur de mathématiques au doux nom, Lucien,  me donnait le surnom de Bleue. Et du rouge au bleu ce matin, dans une campagne mouillée et un peu grise, où le ciel a des soupirs et des regrets, les enfants courent sur le chemin de la maison, en relevant les pans de leurs tabliers pour y cacher un peu de la couleur du vent.

Bien sûr, le vent est bleu. De quelle autre couleur pourrait-il être? Dans la campagne où je vis et où souffle en violence inouïe, le mistral, l'aurais-je pressenti? Au large, sur la mer, le vent souffle bleu.
Gênes, la mer entre les arbres

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire